Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/525

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falloit qu’il les eût gardés lui-même depuis plusieurs années et qu’il s’en fût toujours servi ; pour ce que les affaires de sa maison alloient souvent en décadence et qu’il ne pouvoit trouver de quoi fournir à ses somptuosités, il se servoit de ce mauvais métier, en quoi le misérable Corsègue et quelques autres encore l’assistoient, et même il en avoit été accusé, il n’y avoit pas six mois, devant Caraffe ; mais ce petit juge, qui n’avoit pas la conscience fort nette, l’avoit sauvé de ce péril par des excuses plus fausses que sa monnoie, comme aussi Valère lui avoit fait emplir sa bourse de pièces plus loyales que celles qu’il débitoit d’ordinaire. Le juge supérieur, qui étoit Lucio, en ayant eu le vent, en fut très-mal satisfait ; et néanmoins il ne voulut pas faire éclater cela encore. Mais c’étoit alors que l’occasion se présentoit assez belle pour conserver l’intégrité de la justice et punir Caraffe de ses corruptions. Le crime de Valère étoit une chose vérifiée, et, pour celui de Caraffe, l’on en avoit déjà fait aussi des informations : il ne restoit que d’y joindre celles qui se faisoient à cette heure-là ; et, comme Lucio y eut un peu songé, il se tourna devers Corsègue, et, le tirant à part, lui dit qu’il étoit un méchant homme de nier une chose qu’il avoit confessée devant plusieurs personnes et qu’il avoit signée pareillement ; que, s’il demeuroit dans son opiniâtreté, il le feroit appliquer à la question extraordinaire et l’enverroit après au gibet. Il pensoit user de ses artifices accoutumés ; mais Lucio l’intimida tellement, qu’il lui confessa que tout ce que Raymond avoit dit étoit véritable, et qu’il n’avoit écrit toutes ces choses que comme il les sçavoit. Aussi étoit-ce une chose peu vraisemblable de dire que Raymond les lui avoit suggérées et l’avoit forcé de les écrire ; car où eût-il pu s’aller imaginer ces inventions, qui se rapportoient si bien avec les intentions et les malices de Valère ? Lucio l’avoit reconnu d’abord ; il interrogea donc encore ce Corsègue sur le fait de son maître, lui demandant où il avoit pris ces outils qui servoient à faire de fausses pièces ; il n’eut là-dessus que des réponses impertinentes. Mais Lucio avoit déjà mis ordre que l’on allât chez Valère pour le mener en prison, ce que l’on avoit fait assez heureusement ; et, voyant l’opiniâtreté de Corsègue, il commanda que l’on l’y menât aussi avec celui qui avoit accusé Francion, lequel, ayant été tiré à part, avoit confessé