Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/528

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car je ne pensois plus à aucun mal, et je le tenois pour un fort homme de bien. Je voulois aussi chercher le papier que j’avois oublié ; tellement que cela m’arrêta quelque temps dans mon cabinet ; mais, ainsi que j’avois le dos tourné vers mes tablettes, voilà ce méchant qui pousse la porte, et la ferme à double ressort. J’eus beau crier et bucquer, il ne me voulut point ouvrir. Je commandai à ma femme de me venir dégager, mais elle dit qu’elle ne pouvoit ; et en effet ce traître la prit aussitôt pour faire d’elle à sa volonté. La porte de mon cabinet étoit faite de deux planches, qui s’étoient tellement retirées, qu’il y avoit un espace de deux doigts. Je ne sçais si je dirai que c’étoit par bonheur ou par malheur, car cela m’étoit utile pour voir par là tout ce qui se faisoit à mon dommage, afin d’en avoir après ma raison : mais je voyois aussi mon infortune évidemment par cette fente. Je criois contre ma femme ; mais elle disoit que cet homme la forçoit. Je criois aussi contre lui, lui disant force injures, mais je n’en recevois aucune réponse. Je détestois[1] là dedans, et je dépendis du croc un grand coutelas, que j’avois dans mon cabinet, et l’ayant dégaîné je passai la lame plusieurs fois par la fente de la porte, menaçant ce traître François de le tuer s’il ne m’ouvroit ; mais je ne pouvois atteindre jusques à lui ; et, de rage que j’en eus, je donnai de grands coups d’estoc et de taille contre la chaise de mon cabinet, si bien que je la pensai mettre en pièces. Je m’adressai après à ma porte, à qui je donnai de terribles coups : si elle n’eût été fort bonne, je crois que je l’eusse rompue. Enfin ma femme me vint ouvrir, et je sortis tout furieux, pensant tuer ce perfide ; mais il s’étoit déjà sauvé : je me tournai vers ma femme, et lui dis que, si j’eusse sçu qu’elle eût été consentante de ce qui s’étoit passé, je l’eusse massacrée tout à l’heure. Elle me jura alors que non-seulement elle avoit sa conscience nette, mais que ce François n’avoit aussi fait contre elle que de vains efforts, auxquels elle avoit tellement résisté, qu’il n’avoit sçu accomplir son intention ; et il lui sembloit que cela étoit ainsi, à ce qu’elle disoit ; mais c’étoit peut-être qu’elle étoit si fort troublée, qu’elle n’avoit rien senti de ce qu’on lui avoit fait. Néanmoins elle disoit encore,

  1. Pestais.