Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/69

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différens pour exercer leur volerie ; que quelques-uns d’eux avoient l’artifice d’attirer au jeu ceux qu’ils rencontroient, et de leur gagner leur argent par des tromperies insignes ; et qu’enfin ils étoient en si bonne intelligence avec les ministres de la justice, qu’il n’arrivoit guère qu’ils fussent punis, s’ils n’avoient quelque forte partie de qui la bourse fût mieux garnie que la leur. Bref, il m’apprit les affaires les plus secrètes de sa compagnie. Je lui demandai si pas un des siens ne craignoit le supplice. Il me répondit qu’il croyoit qu’il n’y en avoit guère qui y songeassent seulement ; que le plus souvent ils s’en alloient même assister à voir pendre leurs compagnons, et qu’ils n’avoient rien devant les yeux qu’un puissant désir de chercher les moyens de passer leur vie parmi le contentement ; et que, s’il avenoit que l’on les fît mourir, l’on les délivreroit du souci et de la peine qu’ils pourroient possible avoir un jour pour se retirer hors de la pauvreté. Je voulus encore sçavoir de quelle sorte de gens leurs bandes étoient composées. Nous sommes pour la plupart, ce dit-il, des valets de toutes sortes de façons qui ne veulent plus servir, et encore, parmi nous, il y a force enfans d’artisans de la ville qui ne veulent pas se tenir à la basse condition de leurs pères, et se sont mis à porter l’épée, pensant être beaucoup davantage à cause de cela : ayant dépensé leurs moyens, et ne pouvant rien tirer de leurs parens, ils se sont associés avec nous. Je vous dirai bien plus, et à peine le croiriez-vous, il y a des seigneurs des plus qualifiés, que je ne veux pas nommer, qui se plaisent à suivre nos coutumes, et nous tiennent fort souvent compagnie la nuit ; ils ne daignent pas s’adresser à toutes sortes de gens, comme nous, ils n’arrêtent que les personnes de qualité, et principalement ceux qui ont mine d’être courageux, afin d’éprouver leur vaillance contre la leur. Néanmoins ils prennent aussi bien les manteaux, et font gloire d’avoir gagné cette proie à la pointe de l’épée. De là vient que l’on les appelle tire-soyes, au lieu que l’on ne nous appelle que tire-laines.

Quand Marsaut m’eut conté cela, je m’étonnai de la brutalité et de la vileté de l’âme de ces seigneurs, indignes du rang qu’ils tenoient à la cour, lesquels prenoient pourtant leur vice pour une remarquable vertu. Les plumets et les filous ne me sembloient pas si condamnables, vu qu’ils ne tâchoient