Page:Sorel - Montesquieu, 1887.djvu/130

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si ses peuples étaient en danger d’être exterminés ; et on nomme paix cet état d’effort de tous contre tous. Aussi l’Europe est-elle si ruinée, que les particuliers qui seraient dans la situation où sont les trois puissances de cette partie du monde les plus opulentes, n’auraient pas de quoi vivre. Nous sommes pauvres avec les richesses et le commerce de tout l’univers ; et bientôt, à force d’avoir des soldats, nous n’aurons plus que des soldats, et nous serons comme des Tartares. »

Montesquieu ne s’y résigne point ; il cherche un remède et il le cherche dans la nature même du mal. Il ne se place point en dehors du monde réel. Il y entre, il s’y mêle, il le voit, non tel que ce monde devrait être, mais tel que ce monde est et se comporte. « En Europe, les nations sont opposées du fort au fort ; celles qui se touchent ont à peu près le même courage. C’est la grande raison… de la liberté de l’Europe. » Le respect du droit y résulte non de la conciliation des vues, mais de l’opposition des forces. « Les princes, qui ne vivent point entre eux sous des lois civiles, ne sont point libres ; ils sont gouvernés par la force ; ils peuvent continuellement forcer ou être forcés… Un prince, qui est toujours dans cet état dans lequel il force ou il est forcé, ne peut pas se plaindre d’un traité qu’on lui a fait faire par violence. C’est comme s’il se plaignait de son état naturel. » La force dispose même de la réputation des peuples : « Ce ne fut que la victoire qui décida s’il fallait dire la foi punique ou la foi romaine. » La