Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/172

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aux gens sages, pratiques et savants, qu’il serait prodigieusement difficile de lancer avec ensemble les grandes masses du prolétariat ; on a analysé les difficultés de détail que présenterait une lutte devenue énorme. Au dire des socialistes-sociologues, comme au dire des politiciens, la grève générale serait une rêverie populaire, caractéristique des débuts d’un mouvement ouvrier ; on nous cite l’autorité de Sidney Webb qui a décrété que la grève générale était une illusion de jeunesse[1], dont s’étaient vite débarrassés ces ouvriers anglais — que les propriétaires de la science sérieuse nous ont si souvent présentés comme les dépositaires de la véritable conception du mouvement ouvrier.

Que la grève générale ne soit pas populaire dans l’Angleterre contemporaine, c’est un pauvre argument à faire valoir contre la portée historique de l’idée, car les Anglais se distinguent par une extraordinaire incompréhension de la lutte de classe ; leur pensée est restée très dominée par des influences médiévales : la corporation, privilégiée ou protégée au moins par les lois, leur apparaît toujours comme l’idéal de l’organisation ouvrière ; c’est pour l’Angleterre que l’on a inventé le terme d’aristocratie ouvrière pour parler des syndiqués et, en effet, le trade-unionisme poursuit l’acquisition de faveurs légales[2]. Nous pourrions donc dire que l’aversion que l’Angleterre éprouve pour la grève générale devrait être regardée

  1. Bourdeau, Évolution du socialisme, p. 232.
  2. C’est ce qu’on voit, par exemple, dans les efforts faits par les trade-unions pour obtenir des lois leur évitant la responsabilité civile de leurs actes.