Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/265

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J’emprunte un second exemple à P. De Rousiers, qui est, tout comme P. Bureau, un catholique fervent et préoccupé de morale. Il raconte comment, vers 1860, le pays de Denver, grand centre minier des Montagnes-Rocheuses, fut purgé des bandits qui l’infestaient ; la magistrature américaine étant impuissante, de courageux citoyens se mirent à l’œuvre : « la loi de Lynch était fréquemment appliquée ; un homme convaincu de meurtre ou de vol pouvait se voir arrêter, juger, condamner et pendre en moins d’un quart d’heure, pour peu qu’un comité de vigilance énergique s’emparât de lui… etc. L’Américain honnête a l’excellente habitude de ne pas se laisser écraser, sous prétexte qu’il est honnête ; un homme d’ordre n’est pas nécessairement un trembleur, comme cela arrive trop souvent chez nous ; au contraire, il considère que son intérêt doit passer avant celui d’un repris de justice ou d’un joueur. De plus, il possède l’énergie nécessaire pour résister, et le genre de vie qu’il mène le rend apte à résister, efficacement, même à prendre l’initiative et la responsabilité d’une mesure grave, quand les circonstances l’exigent… Un tel homme, placé dans un pays neuf et plein de ressources voulant profiter des richesses qu’il renferme et conquérir par son travail une situation élevée, n’hésitera pas à supprimer, au nom des intérêts supérieurs qu’il représente, les bandits qui compromettent l’avenir de ce pays. Voilà pourquoi tant de cadavres se balançaient à Denver, il y a vingt-cinq ans, au-dessus du petit pont de bois jeté sur le Cherry-Creek[1]. »

  1. De Rousiers, La vie américaine, Ranches, fermes et usines, pp. 224-225.