Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/281

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traiter un enfant, nous supposons instinctivement que ses parents ont des mœurs de criminels ; les procédés qu’employaient les anciens maîtres d’école et que les maisons ecclésiastiques s’obstinent à conserver, sont ceux des vagabonds qui volent des enfants et qui dressent leurs victimes pour en faire des acrobates adroits ou des mendiants intéressants. Tout ce qui rappelle les mœurs des anciennes classes dangereuses nous est souverainement odieux.

La férocité ancienne tend à être remplacée par la ruse et beaucoup de sociologues estiment que c’est là un progrès sérieux ; quelques philosophes qui n’ont pas l’habitude de suivre les opinions du troupeau, ne voient pas très bien en quoi cela constitue le progrès au point de vue de la morale : « Si l’on est choqué de la cruauté, de la brutalité des temps passés, dit Hartmann, il ne faut pas oublier que la droiture, la sincérité, le vif sentiment de la justice, le pieux respect devant la sainteté des mœurs caractérisent les anciens peuples[1] ; tandis que nous voyons régner aujourd’hui le mensonge, la fausseté, la perfidie, l’esprit de chicane, le mépris de la propriété, le dédain de la probité instinctive et des mœurs légitimes, dont le prix souvent n’est plus compris. Le vol, le mensonge,

  1. Hartmann s’appuie ici sur l’autorité du naturaliste anglais Wallace, qui a beaucoup vanté la simplicité des mœurs des Malais : il y a là sûrement une grosse part d’exagération, encore que d’autres voyageurs aient fait des observations analogues sur quelques tribus de Sumatra. Hartmann veut démontrer qu’il n’y a pas de progrès vers le bonheur. et cette préoccupation le conduit à exagérer le bonheur antique.