Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/313

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d’hui tout est devenu si confus que les curés prétendent être les meilleurs de tous les démocrates ; ils ont adopté la Marseillaise pour leur hymne de parti ; et si on les en priait un peu fort, ils illumineraient pour l’anniversaire du 10 août 1792. De part et d’autre, il n’y a plus de sublime ; aussi la morale des uns et des autres est-elle d’une bassesse remarquable.

Kautsky a évidemment raison lorsqu’il affirme que de notre temps le relèvement des travailleurs a dépendu de leur esprit révolutionnaire : « C’est en vain, disait-il, à la fin d’une étude sur les réformes sociales et la révolution, qu’on cherche par des sermons moraux à inspirer à l’ouvrier anglais une conception plus élevée de la vie, le sentiment de plus nobles efforts. L’éthique du prolétaire découle de ses aspirations révolutionnaires ; ce sont elles qui lui donnent le plus de force et d’élévation. C’est l’idée de la révolution qui a relevé le prolétariat de l’abaissement[1]. » Il est évident que, pour Kautsky, la morale est toujours subordonnée à l’idée du sublime.

Le point de vue socialiste est tout différent de celui que l’on trouve dans l’ancienne littérature démocratique : nos pères croyaient que l’homme est d’autant meilleur qu’il est plus rapproché de la nature et que l’homme du peuple est une espèce de sauvage ; que par

  1. Mouvement socialiste, 15 octobre 1902, p. 1891. — J’ai signalé ailleurs que la décadence de l’idée révolutionnaire chez d’anciens militants qui deviennent sages, semble s’accompagner d’une décadence morale, que j’ai comparée à celle qu’on trouve généralement chez le prêtre qui perd sa foi. (Insegnamenti sociali, pp. 344-345.)