Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/344

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ginent cependant que leur devoir serait de tout ramener à l’unité. Pour arriver à se dissimuler l’hétérogénéité fondamentale de toute morale civilisée, ils recourent à une infinité de subterfuges, tantôt reléguant au rang d’exception, d’importation ou de survivance, tout ce qui les gêne, tantôt noyant la réalité dans un océan de termes vagues, et, le plus souvent, employant ces deux procédés pour mieux embrouiller la question. J’estime, au contraire, qu’un ensemble quelconque dans l’histoire des idées ne peut être bien connu que si on cherche à mettre en lumière toutes les contradictions. Je vais adopter ce parti et je prendrai pour point de départ l’opposition célèbre que Nietzsche a établie entre deux groupes de valeurs morales, opposition sur laquelle on a beaucoup écrit, mais que l’on n’a jamais convenablement étudiée.


A. — On sait avec quelle force Nietzsche a vanté les valeurs construites par les maîtres, par une haute classe de guerriers qui, dans leurs expéditions, jouissent pleinement de l’affranchissement de toute contrainte sociale, retournent à la simplicité de la conscience du fauve, redeviennent des monstres triomphants qui rappellent toujours « la superbe brute blonde rôdant, en quête de proie et de carnage », chez lesquels « un fond de bestialité cachée a besoin, de temps en temps, d’un exutoire ». Pour bien comprendre cette thèse, il ne faut pas trop s’attacher à des formules qui ont été parfois exagérées à dessein, mais aux faits historiques ; l’auteur nous apprend qu’il a en vue « l’aristocratie romaine, arabe, germanique ou japonaise, les héros homériques, les vikings scandinaves ».