Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/347

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Américain, il faut considérer la vie comme une lutte et non comme un plaisir, y rechercher l’effort victorieux, l’action énergique et efficace, plus que l’agrément, plus que le loisir embelli par la culture des arts, et les raffinements propres à d’autres sociétés. Partout… nous avons constaté que ce qui fait réussir l’Américain, ce qui constitue son type,… c’est la valeur morale, l’énergie personnelle, l’énergie agissante, l’énergie créatrice »[1]. Le mépris si profond que le grec avait pour le barbare, le Yankee l’a pour le travailleur étranger qui ne fait point d’effort pour devenir vraiment américain. « Beaucoup de ces gens-là seraient meilleurs si nous en avions cure, disait au voyageur français un vieux colonel de la guerre de Sécession, mais nous sommes une race impérieuse » ; un boutiquier de Pottsville traitait devant lui les mineurs de Pensylvanie de « population déraisonnable »[2]. J. Bourdeau a signalé l’étrange similitude qui existe entre les idées de A. Carnegie et de Roosevelt, et celles de Nietzsche, le premier déplorant qu’on gaspille de l’argent à entretenir des incapables, le second engageant les américains à devenir des conquérants, une race de proie[3].

  1. De Rousiers, La vie américaine, L'éducation et la société, p. 325.
  2. De Rousiers, La ve américaine, Ranches, fermes et usines, pp. 303-305.
  3. Dans ce feuilleton, J. Bourdeau nous apprend que « Jaurès a fort étonné les Genevois, en leur révélant que le héros de Nietzsche, le surhomme, n'est autre que le prolétariat. » Je n'ai pu me procurer de renseignements sur cette conférence de Jaurès : espérons qu'il la publiera quelque jour.