Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/37

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chaine sous forme d’images de batailles assurant le triomphe de leur cause. Je proposais de nommer mythes ces constructions dont la connaissance offre tant d’importance pour l’historien[1] : la grève générale des syndicalistes et la révolution catastrophique de Marx sont des mythes. J’ai donné comme exemples remarquables de mythes ceux qui furent construits par le christianisme primitif, par la réforme, par la révolution, par les mazziniens ; je voulais montrer qu’il ne faut pas chercher à analyser de tels systèmes d’images, comme on décompose une chose en ses éléments, qu’il faut les prendre en bloc comme des forces historiques, et qu’il faut surtout se garder de comparer les faits accomplis avec les représentations qui avaient été acceptées avant l’action.

J’aurais pu donner un autre exemple qui est peut-être encore plus frappant : les catholiques ne se sont jamais découragés au milieu des épreuves les plus dures, parce qu’ils se représentaient l’histoire de l’Église comme étant une suite de batailles engagées entre Satan et la hiérarchie soutenue par le Christ ; toute difficulté nouvelle qui surgit est un épisode de cette guerre et doit finalement aboutir à la victoire du catholicisme.

Au début du xixe siècle, les persécutions révolutionnaires ravivèrent ce mythe de la lutte satanique, qui a fourni à Joseph de Maistre des paroles éloquentes ; ce rajeunissement explique, en grande partie, la renaissance religieuse qui se produisit à cette époque. Si le

  1. Dans l’Introduction à l’économie moderne, j’ai donné au mot mythe un sens plus général, qui dépend étroitement du sens strict employé ici.