Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/385

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cés sur la voie mystique croient recevoir les révélations du Christ, de la Vierge ou des saints.

Ce postulat de la Réforme est manifestement faux ; il n’est pas facile à des hommes entraînés par tous les courants de la vie ordinaire, de pratiquer cette expérience du Saint-Esprit que Luther, en sa qualité de moine exalté, trouvait très simple. Pour le plus grand nombre des protestants actuels la lecture de la Bible est seulement une lecture édifiante ; constatant ainsi qu’ils ne reçoivent pas, en présence du texte sacré, les lumières surnaturelles qu’on leur avait promises, ils doutent de l’enseignement donné par leurs pasteurs : les uns vont à l’incrédulité la plus complète, tandis que d’autres se convertissent au catholicisme, parce qu’ils veulent, à tout prix, demeurer chrétiens. En ne rattachant pas les facultés mystiques aux conditions d’une vie exceptionnelle qui puissent les soutenir, les théoriciens de la Réforme ont commis une très grossière erreur qui devait, à la longue, amener la faillite de leurs Églises ; nous ne nous occuperons ici que des conséquences que cette erreur a eues pour la philosophie.

On a souvent fait observer qu’il a, presqu’en tout temps, existé deux tendances divergentes dans le travail de la réflexion humaine ; on peut les distinguer, faute de meilleurs termes, par des noms empruntés à l’histoire du Moyen-Age et dire que les penseurs se divisent en scolastiques et en mystiques. Les auteurs du premier groupe croient que notre intelligence, en partant du témoignage des sens, peut découvrir comment les choses sont réellement, exprimer les relations qui existent entre les essences, dans un langage qui s’impose à tout homme raison-