Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/388

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sont des choses simples[1] ; il y a de la liberté ; il existe un être nécessaire. Kant a tout brouillé !


Les erreurs de Kant doivent nous rendre indulgents pour des hommes qui n’avaient pas son génie philosophique et qui ont tiré de la mystique altérée et vulgarisée par le protestantisme des théories politiques fort défectueuses. Le protestantisme devait conduire des gens étrangers à toute considération historique à une hypothèse étrange : ils ont supposé que, pour atteindre les premiers principes sociaux, il fallait se représenter des consciences assez analogues à celles du moine qui vit constamment en présence de Dieu. Une telle hypothèse qui tranche tout lien entre le citoyen et les bases économiques, familiales ou politiques de la vie, a été introduite dans des constructions juridiques, dont l’importance a été énorme.

On comprend assez facilement que les premières sociétés américaines aient réglé leur droit public d’après les principes paradoxaux de la mystique ; leurs constitutions devaient avoir quelque chose de monacal, attendu que les puritains ressemblaient fort à des moines, enivrés de spiritualité ; leurs formules se sont maintenues aux États-Unis, en vertu du respect religieux qui n’a pas cessé de s’attacher au souvenir de ces illustres ancêtres. Cette littérature vint se mêler chez nous à celle de

  1. Kant a libellé l’antithèse de la deuxième antinomie de manière à opposer l’atomisme à la divisibilité infinie que suppose le calcul différentiel appliqué à la physique ; l’atomisme a été imaginé à l’origine pour pouvoir trouver dans l’ordre matériel des sortes de personnes juridiques.