Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/40

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

disant « qu’il serait toujours un pauvre homme »[1] ; les vertus extraordinaires dont firent preuve les Romains, qui se résignaient à une effroyable inégalité et se donnaient tant de peine pour conquérir le monde[2] ; «  la foi à la gloire (qui fut) une valeur sans pareille », créée par la Grèce et grâce à laquelle « une sélection fut faite dans la foule touffue de l’humanité, la vie eut un mobile, il y eut une récompense pour celui qui avait poursuivi le bien et le beau »[3] ; — voilà des choses que ne saurait expliquer la philosophie intellectualiste. Celle-ci conduit, au contraire, à admirer, au chapitre li de Jérémie, «  le sentiment supérieur, profondément triste, avec lequel l’homme pacifique contemple les écroulements (des empires), la commisération qu’excite dans le cœur du sage le spectacle des peuples travaillant pour le vide, victimes de l’orgueil de quelques-uns ». La Grèce n’a pas vu cela, d’après Renan[4], et il me semble qu’il ne faut pas nous en plaindre ! D’ailleurs il louera lui-même les Romains de ne pas avoir agi en suivant les conceptions du penseur juif : « Ils travaillent, ils s’exténuent — pour le vide, pour le feu, dit le penseur juif — oui, sans doute ; mais voilà la vertu que l’histoire récompense »[5].

Les religions constituent un scandale particulièrement grave pour l’intellectualiste, car il ne saurait ni les regarder comme étant sans portée historique, ni les

  1. Renan, Histoire du peuple d’Israël, tome IV, p. 191.
  2. Renan, loc. cit., p. 267.
  3. Renan, loc. cit., pp. 199-200.
  4. Renan, loc. cit., tome III, pp. 458-459.
  5. Renan, loc. cit., tome IV, p. 267.