Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/44

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philosophie bergsonienne ; l’essai que je vais vous soumettre est, sans doute, bien imparfait, mais il me semble qu’il est conçu suivant la méthode qu’il faut suivre pour éclairer ce problème.

Remarquons d’abord que les moralistes ne raisonnent presque jamais sur ce qu’il y a de vraiment fondamental dans notre individu ; ils cherchent d’ordinaire à projeter nos actes accomplis sur le champ des jugements que la société a rédigés d’avance pour les divers types d’action qui sont les plus communs dans la vie contemporaine. Ils disent qu’ils déterminent ainsi des motifs ; mais ces motifs sont de la même nature que ceux dont les juristes tiennent compte dans le droit criminel: ce sont des appréciations sociales relatives à des faits connus de tous. Beaucoup de philosophes, principalement dans l’antiquité, ont cru pouvoir tout rapporter à l’utilité ; et s’il y a une appréciation sociale, c’est sûrement celle-là ; — les théologiens placent les fautes sur le chemin qui conduit normalement, suivant l’expérience moyenne, au péché mortel ; ils connaissent ainsi quel est le degré de malice que présente la concupiscence, et la pénitence qu’il convient d’infliger ; — les modernes enseignent volontiers que nous jugeons notre volonté avant d’agir, en comparant nos maximes à des principes généraux qui ne sont pas sans avoir une certaine analogie avec des déclarations des droits de l’homme ; et cette théorie a été très probablement inspirée par l’admiration que provoquèrent les bills of rights placés en tête des constitutions américaines[1].

  1. La constitution de Virginie est de juin 1776. Les constitutions