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s’était dirigé du côté du château de sa belle-sœur. Il marcha vers cet endroit, décidé à aller prévenir madame de B… du tour de Ganguernet. Au détour d’un chemin, il aperçut Ernest qui allait vers le château ; il doubla le pas pour l’atteindre, et gagna assez de vitesse pour arriver presque au même instant que lui. Seulement Ernest avait déjà franchi la porte quand le jeune chasseur s’y présenta. Comme celui-ci allait entrer, elle se ferma violemment, et il entendit presque aussitôt l’explosion d’une arme à feu. Puis une voix s’écria :

— Eh bien ! puisque je t’ai manqué, défends-toi…

Le jeune homme se précipita vers une grille à hauteur d’appui qui ouvrait dans la cour, et là il vit le spectacle le plus affreux. Le mari, l’épée à la main, attaquait Ernest avec une rage désespérée.

— Ah ! tu l’aimes et elle t’aime ! s’écria-t-il d’une voix rauque et furieuse. Ah ! tu l’aimes et elle t’aime ! À toi d’abord, puis à elle !

La lettre remise au président lui avait appris un secret qui était resté caché depuis plus de quatre ans, et, avant de venger les injures de la société, le juge était accouru pour venger la sienne. Vainement l’ami d’Ernest, monté après la grille, criait et en appelait à leur nom de frères ; M. de B… poussait Ernest d’un coin de la cour à l’autre avec une fureur aveugle. Tout à coup une fenêtre s’ouvrit, et madame de B…, pâle, échevelée, parut à leurs yeux.

— Léonie ! s’écria Ernest, va-t’en !

— Non, qu’elle reste, dit le mari. Elle est enfermée : n’aie pas peur qu’elle vienne nous séparer.

Et il se précipita de nouveau sur son frère avec une si violente exaspération que le feu jaillit des épées.

— C’est moi qui dois mourir ! criait madame de B… ; c’est moi, tuez-moi, tuez-moi !

Le jeune homme, malheureux spectateur de cette horrible scène, mêle ses cris à ceux de madame de B… ; il appelle, il ébranle la grille ; il va escalader le mur, lorsque, poussée par son désespoir, égarée, folle, éperdue, Léonie se précipite par la fenêtre et tombe entre son amant et son mari. Celui-ci, à qui la rage a ôté toute raison, dirige son épée contre elle ; mais Ernest la détourne, et perdant à son tour toute crainte, il s’écrie :

— Ah ! tu veux la tuer ? Eh bien, défends-toi donc !