Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome I.djvu/190

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m’afflige, elle me force à être impitoyable ; je n’ai pas envie de jeter ma vie à ce furieux. Faites les préparatifs.

Henri s’aperçut de l’arrivée de Fernand, il fit un geste silencieux, et les témoins le suivirent. Luizzi comprit qu’entre ces deux hommes il n’y avait pas d’explication possible. Il reçut des mains de Fernand quelques lettres soigneusement pliées, et dont l’écriture était ferme et pure, puis tous arrivèrent dans un petit bois où se trouvait une clairière très-propre au combat. Les conditions furent que les adversaires se mettraient à trente pas l’un de l’autre, qu’ils marcheraient, à un signal donné, chacun l’espace de dix pas, et qu’ils tireraient à volonté pendant cette marche. Les pistolets, chargés avec soin et cachés sous un mouchoir, furent donnés par Luizzi aux combattants, qui se posèrent aussitôt à leur place. Un coup frappé dans la main les avertit, et à peine Fernand avait-il fait un pas que l’on entendit l’explosion d’un pistolet, et on le vit tressaillir et s’arrêter.

— Cet homme est adroit, mais il n’est pas brave, sans cela il m’aurait tué, dit Fernand en montrant son bras droit percé d’une balle.

Et il reprit son pistolet de la main gauche.

— Dépêchez-vous, cria Henri, nous recommencerons !

— Je ne le crois pas, dit sourdement Fernand.

Et soudain, sans profiter du terrain qu’il pouvait gagner, il tira, et Henri tomba frappé au cœur, sans qu’un souffle, une convulsion, vînt attester qu’il avait cessé d’exister.

Une heure après, Fernand était en chaise de poste, et le Diable avait repris sa place auprès du baron, qui l’avait appelé.

— Veux-tu me dire, maître Satan, pourquoi tu as soufflé dans l’âme de ce jeune homme ce désir infâme ?

— Ceci est mon secret. D’ailleurs ce n’est pas une histoire que je puisse te raconter, puisque tu as vu tout ce qui en existe.

— Oui, mais les acteurs de cette histoire ont des antécédents que je voudrais connaître.

— Aucun. Fille d’auberge, orpheline et jeune ; étourdi et gâté par une mauvaise littérature : voilà tout.

— Mais pourquoi les avoir choisis pour cette détestable action.

— Parce que j’ai besoin de deux êtres merveilleusement beaux, afin qu’ils puissent devenir merveilleusement méchants sans qu’on s’en doute.

— Ce qu’ils viennent de faire n’est donc que le commencement d’une vie de mauvaises actions ?

— Ou de mauvaises idées, ce qui est bien