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Madame de Farkley repassa et lui fit un signe d’intelligence. Il la trouva merveilleusement gracieuse, et le cœur lui battit.

— Allons ! reprit-il, c’est un parti pris ; je suis le préféré de la soirée. Eh bien, soit ! Mais je ne veux pas être plus gauche que les autres, je veux même qu’elle me distingue dans ses souvenirs. Tous ceux qui m’ont précédé connaissent la plupart de ses aventures ; mais il doit y en avoir dont elle seule a le secret, et ce sont celles-là que je veux révéler, après lui avoir laissé croire qu’elle avait trouvé une dupe.

Aussitôt il s’écarta de la foule, tira sa petite sonnette, l’agita, et un monsieur en habit noir passa près de lui…

— Me voici, lui dit Satan, que veux-tu ?

— Je veux savoir l’histoire de cette femme qui passe là-bas.

— De celle qu’on a si ignominieusement chassée de chez madame de Marignon ?

— Oui.

— Et dans quel but veux-tu la savoir ?

— Parce que, avant de la connaître par elle-même, je veux la connaître par toi, pour apprendre jusqu’à quel point une femme peut pousser l’audace dans son dessein de tromper un homme.

— Tu as raison. Te voilà dans un monde tout nouveau, et dans lequel tu as mis à peine le pied ; il est bon que tu le connaisses, pour ne pas être exposé à des chutes fréquentes. Mais l’expérience ne serait pas complète si je ne te racontais d’abord l’histoire des deux femmes qui ont fait chasser madame de Farkley.

— Y aurait-il quelque chose à dire contre elles ?

— En ma qualité de Diable, je ne me permettrai pas de juger si cela leur fait honneur ou déshonneur ; mais tu ne sauras ce qu’est véritablement madame de Farkley, qui est une femme perdue selon le monde, que lorsque tu sauras ce que valent mesdames de Fantan et du Bergh, qui sont des femmes honorables selon le monde.

— Soit, dit Luizzi.

Ils entrèrent tous les deux dans une loge, et Cosmes de Mareuilles, qui passait en ce moment, dit à un jeune homme qui était avec lui :

— Pardieu ! madame de Marignon voulait savoir quel était le singulier chanteur de son concert ; Luizzi pourra le lui dire, car les voici ensemble dans une même loge.

— C’est sans doute le baron qui l’avait amené ?

— Il en est bien capable, il est si inconvenant !