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et qui exhale son dernier soupir en lui disant : Nathalie, je t’aime ! Sens-tu quel beau et déchirant spectacle que la douleur de cet homme à côté de cette jeune et belle femme qui vient se donner à lui, et qui lui adoucira les derniers moments de sa vie en lui apprenant qu’elle était riche, que, s’il pouvait vivre, il aurait une vie de luxe et de délices ? Y a-t-il beaucoup de choses plus dramatiques que de faire lever de joyeuses espérances autour d’un mourant à mesure qu’il perd le pouvoir de les réaliser ? Par l’enfer dont je suis le roi, c’était une belle situation que celle où Nathalie allait se trouver ! Il y avait là de quoi faire un merveilleux effet à son retour à Paris ; et cette scène, elle était là, derrière la porte qui la séparait de du Bergh. Cette insatiable soif du cœur féminin, cette soif d’extraire d’une position tout ce qu’elle a d’émotions terribles et funestes, poussa Nathalie ; elle ouvrit la porte et la ferma derrière elle. Du Bergh…

— Du Bergh était mort ! s’écria Luizzi.

Le Diable le regarda d’un air de pitié.

— Du Bergh, reprit-il, était dans une bergère, un verre de vin de Bordeaux à la main, un cigare à la bouche, et fredonnant l’air Enfant chéri des dames.

« — Quelle imprudence ! s’écria Nathalie à l’aspect du vin…

« — Excellent, ma chère, dit du Bergh en se levant et en jetant son cigare par la fenêtre, c’est, après vous et ses millions, ce que cher beau-père possède de mieux. »

À cet aspect de du Bergh leste et bien portant, Nathalie recula ; elle resta dans un état de stupéfaction indicible, pendant que du Bergh, lui prenant insolemment la taille, lui disait :

« — C’est une surprise que je te ménageais, cher ange. Allons ! ne sois donc pas bégueule, mon amour. Je ne suis pas ton mari pour être moins bien traité qu’un amant. Ne fais donc pas l’enfant.

« — Ah ! s’écria Nathalie, c’est une trahison de mon père…

« — Une trahison de votre père, chère amie ! qu’entendez-vous par là ? Est-ce que vous lui avez formellement demandé un mari défunt ? reprit du Bergh. Est-ce que vous étiez du complot ?

« — De quel complot ?

« — Ah ! voici, reprit du Bergh en se versant un second verre de vin je vais tout vous dire, afin que nous sachions à quoi nous en tenir sur notre compte respectif à tous les trois. D’abord, monsieur votre père, qui est un homme fort distingué, ne s’est pas décidé à donner sa fille à un homme comme moi sans une raison péremptoire. Or, qu’est-ce qu’un homme comme moi ? un liber-