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dulité, ç’a été pour qu’ils ne devinssent pas idiots et fous devant la foudroyante lueur de la vérité.

— S’il en est ainsi, je n’ai donc plus rien à te demander ?

— Cela te regarde.

— Puis-je me sauver de la position où je suis ?

— Tu le peux.

— Eh bien ! rends-moi seulement cette sonnette.

— Non, parbleu ! c’est du bon temps que je prends, je suis libre.

— Pourquoi donc es-tu venu ?

— Parce que tu m’offrais un marché avantageux.

— Je ne veux pas l’accomplir.

— Tu en es le maître.

— Dix ans de ma vie ! dit Luizzi douloureusement, jamais !

— À quoi donc t’a-t-elle servi, pour que tu y tiennes tant ?

— C’est précisément parce qu’elle ne m’a servi à rien que je veux ménager ce qui m’en reste.

— Eh bien ! reprit le Diable, en échange de ce mot-là, je te donnerai un conseil. Tu viens de dire la plus haute des vérités : l’homme ne tient tant à sa vie que parce qu’il en a fait un mauvais ou un ennuyeux emploi ; il croit sans cesse que le lendemain lui donnera ce qu’il a laissé échapper la veille, et il court toujours après une chose qu’il a toujours laissée derrière lui.

— Tu n’es pas changé, maître Satan, et tu fais toujours de la morale. Quel est ce conseil que tu veux me donner ?

— Marie-toi, lui dit le Diable.

— Moi ? s’écria Luizzi.

— Vois, mon maître ; si tu n’étais pas seul en ce moment, rien ne serait de tout ce qui t’arrive.

— C’est un piége que tu me tends.

— C’est un marché que je te propose. Prends une femme, je te tire de ton lit sans te demander rien.

— Une femme de ta main, ce serait un triste présent.

— Tu choisiras, je ne m’en mêlerai pas le moins du monde.

— Tu sais que je choisirai mal.

— Foi de Satan, je n’y ai pas regardé, mais j’ai la chance pour moi. Tu es vain, tu es faible, tu es riche, tu tomberas sur quelque intrigante.

— Et quel est le délai que tu m’imposes ?

— Six mois.

— Et si au bout de ce temps je n’ai pas choisi ?

— J’aurai dix ans de ta vie.

— Mais si je me marie, quel profit en retireras-tu ?

— C’est ma liberté que j’achète, dit Satan en riant ; ta femme te donnera assez à faire pour que tu ne t’occupes plus de moi. Tu es vain, tu la prendras jolie, par conséquent tu seras jaloux : énorme occupation. Tu es faible, c’est-à-dire que tu seras le serviteur de tous ses caprices ; tu es riche, cela lui donnera le droit d’en avoir assez pour que tu n’aies pas de temps à perdre avec moi.

— Tu profites de tes avantages, Satan ; tu n’oserais me parler ainsi si j’avais ma sonnette.

— Tu vois bien que je ne suis pas si diable qu’on le dit, puisque j’agis comme un homme.

— Ton conseil,