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jeuner ?

— Pour vous, Monsieur ? oh ! non, vous êtes trop malade pour rien prendre.

— Allez-vous recommencer à me traiter comme si j’étais fou ?

— Seigneur Dieu ! reprit madame Humbert ; je sais bien que monsieur le baron a toute sa raison, mais il n’en est pas moins vrai que je ne puis pas me permettre de lui donner à manger. Mon devoir est d’accomplir les ordres du médecin.

— Sans doute, dit Luizzi, mais ce n’est pas votre intérêt.

— Ce n’est pas l’intérêt qui me dirige, monsieur le baron.

— Tant pis ! parce que si vous aviez voulu me donner ce bouillon, je vous l’aurais payé comme de l’or potable.

— Et si le docteur Crostencoupe venait à le savoir ?

— Je le mettrais à la porte s’il se fâchait.

— C’est-à-dire qu’il me mettrait à la porte, moi, et qu’il placerait auprès de vous quelque vieille méchante garde-malade qui ferait tout ce qu’il veut.

— Vous avez raison, madame Humbert, je ne lui dirai rien. Voyons ce bouillon.

Madame Humbert le remua dans la tasse et dit encore :

— C’est qu’il faudrait lui dire aussi que vous avez pris tous les remèdes.

— Je le lui dirai, madame Humbert. Donnez-moi ce bouillon.

Elle prit la tasse et s’approcha du lit.

— Il y a aussi Pierre et Louis qui pourraient lui rapporter que vous ne suivez pas les ordonnances, repartit madame Humbert d’un air embarrassé ; et elle replaça le bouillon sur le plateau.

— Je pardonne à Pierre et à Louis s’ils veulent me garder le secret ; mais donnez-moi ce bouillon.

— Buvez doucement, au moins.

— C’est bien, c’est bien.

— Attendez que je défasse les courroies qui vous attachent.

— À la bonne heure, madame Humbert, vous êtes une brave femme.

Luizzi avala le bouillon, et se trouva si réconforté que l’espérance lui revint au cœur en même temps que la chaleur à l’estomac. Vers le soir le docteur Crostencoupe arriva, et demanda si on avait exactement suivi ses ordonnances.

— Ah ! docteur, reprit Luizzi, que j’ai éprouvé une étrange chose aujourd’hui ! Imaginez-vous qu’il m’a semblé qu’un voile descendait de mes yeux. Je souffrais d’horribles piqûres sur la poitrine et des cuissons brûlantes aux cuisses.

— Bon ! dit le docteur en fronçant le sourcil, les sangsues et les sinapismes. Après ?

— Après, docteur ? à mesure que cette douleur augmentait, je sentais ma tête se dégager, et bientôt il m’a semblé sortir d’une nuit profonde.

— Enfin, s’écria le docteur Crostencoupe, vous êtes sauvé, monsieur le