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— Un manant qui défend une…

— Monsieur ! cria Charles, taisez-vous ! savez-vous ce que valent les paroles que vous venez de prononcer ?

— Aussi bien que vous ce que vaut une balle de laine.

— Mais je sais aussi ce que vaut une balle de plomb, et je vous l’apprendrai.

— Un duel ! oh non ! non, Monsieur ; c’est assez d’avoir été dupe une fois.

— Prenez-y garde, je saurai bien vous y forcer.

— Vous essayerez.

— Plus tôt que vous ne pensez… Demain au matin je serai chez vous.

— Comme il vous plaira.

Charles s’éloigna rapidement. À peine avait-il disparu, que la porte s’entr’ouvrit et que la voix tremblante de madame Dilois se fit entendre :

— Entrez, entrez, dit-elle tout bas au baron.

Luizzi eut bonne envie de refuser.

— De grâce, entrez, dit madame Dilois.

Charles était déjà loin. Le baron entra. Madame Dilois le saisit par la main : la pauvre femme tremblait. Elle conduisit Luizzi par un escalier dérobé jusque chez elle. Le calme presque virginal de cette chambre avait disparu, le lit était foulé, une lampe de nuit veillait seule. À sa clarté tremblante, Luizzi vit que le déshabillé de madame Dilois était plus complet encore que lorsqu’il l’avait quittée ; elle avait seulement un peignoir de nuit, et elle était descendue les pieds nus.

— Ah ! Monsieur, s’écria-t-elle, que vous ai-je fait pour vouloir me perdre !

— Vous perdre ! dit Luizzi en ricanant, je n’y vois pas de danger, et en tout cas il n’y a pas de ma faute.

Luizzi était exaspéré ; il avait tellement compté sur un triomphe complet qu’il était humilié vis-à-vis de lui-même au plus haut degré. En outre, il était gelé, il se sentait ridicule, il fut sans pitié.

— Quoi ! toute cette plaisanterie, tout ce que nous avons dit, vous l’avez pris au sérieux !

— Comment, au sérieux ! mais il me semble que tout autre à ma place en eût fait autant ?

— Tout autre ! mais pour qui me prenez-vous donc ?

— Pour une fort jolie femme qui aime à se laisser aimer.