Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome I.djvu/99

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Certes, la lecture qu’elle faisait n’avait rien de bien attendrissant, et, si Luizzi avait été surpris du livre que cette malheureuse tenait dans les mains, il le fut encore bien plus de l’effet qu’il produisait sur elle. Cet incident ramena Luizzi sur les pages de cet odieux ouvrage, et à ses premiers étonnements vint se joindre un étonnement plus grand. Il découvrit, après chaque ligne imprimée, une ligne manuscrite ; l’écriture était d’autant plus distincte de l’impression qu’elle était de couleur rouge. Luizzi, tout plein de la supposition qu’il avait d’abord adoptée, voulut savoir quel commentaire une femme jeune et belle avait pu ajouter à cette production monstrueuse. Grâce à la puissance de vision que le Diable lui avait donnée, il put lire aisément ces caractères mal formés et imperceptibles, et voici la première phrase qu’il déchiffra :

« Ceci est mon histoire : je l’écris sur ce livre et avec mon sang, parce que je n’ai ni papier ni encre. Si je n’ai pas effacé ligne à ligne le livre abominable sur lequel j’écris et qu’un infâme a mis dans mes mains pour tuer mon âme après avoir tué mon corps, si je ne l’ai pas effacé, c’est que mon sang est devenu rare et qu’à peine il m’en reste assez pour raconter mes malheurs et demander vengeance… »

À cette phrase, toute l’âme de Luizzi tressaillit ; une pitié profonde et un remords désolé le remuèrent jusque dans ses entrailles. Sa pensée lui parut une torture ajoutée à l’incessante torture de cette malheureuse. Oh ! quel effroyable supplice infligé à cette âme obligée de verser de chastes pleurs entre ces lignes de boue, et de faire monter sa prière à Dieu entre les blasphèmes débauchés de ces pages dégoûtantes ! La voyez-vous forcée de tenir son œil tendu sur le mot, sur la lettre qui traduit son désespoir, sous peine de rencontrer à côté un mot hideux, infâme, turpide ? Oh ! comment cette blanche hermine a-t-elle traversé, dans son long et étroit dédale, ce bourbier fangeux ? Comment ce papier si sale de ce que la main d’un misérable y a imprimé est-il coupé de lignes pures et douces où s’est posée timidement l’âme d’une infortunée ? Et, pour qu’elle n’ait pas effacé cette vie souillée dont le récit marche à côté de sa vie malheureuse, elle n’a eu qu’une raison : son sang est devenu trop rare. Ô malheureuse ! malheureuse !

Ainsi pensa Luizzi, ainsi cria-t-il, emporté par la violente émotion qu’il avait éprouvée. Mais sa voix ne retentit qu’au-