Page:Soupé - Études sur la littérature sanscrite.djvu/102

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par deux cent mille brahmanes. Comme l’envie et le dépit éclatent dans le langage qu’il tient, à son retour, à son conseiller Sakouni !

Le bruit des conques résonnait là sans cesse ; ce bruit retentissant s’obstinait à me déchirer les oreilles, et ma chevelure se hérissait sur mon front. Des princes curieux se pressaient en foule… Ils avaient mis sur eux tous les ornements et, dans le sacrifice offert par cet illustre fils de Pàndou, ils avaient l’air d’hommes de la dernière caste, s’inclinant devant les prêtres, ces maîtres du monde. Depuis que j’ai contemplé l’opulence de cet héritier de Pândou, opulence excessive et pareille à celle du roi des dieux, il n’y a plus un moment de repos pour moi ; mon âme est consumée de rage.

L’hypocrite Sakouni lui répond, comme Narcisse à Néron chez Racine, comme Iago à Othello chez Shakespeare, comme Méphistophélès à Faust chez Gœthe, en lui prêchant le mal auquel ce prince n’est que trop bien disposé :

Incomparable héros, apprends le moyen de renverser cet immense prospérité que tu as vue. Mon habileté au jeu de dés est fameuse au loin ; les règles et les chances du jeu, les passions humaines, je connais tout. Youdhichthira aime à jouer, mais il n’a pas d’expérience : provoque-le à une partie ; il l’acceptera, de même qu’il eût accepté une bataille. Dès qu’il sera au jeu, j’emploierai la ruse, et ses trésors énormes lui seront enlevés ; tu n’as qu’à le défier.

Dhritarâchtra l’aveugle s’inquiète pourtant de ce défi astucieux ; son noble frère Vidoura, les vieillards les plus sages s’y opposent également. Mais les funestes conseils de Sakouni, de Karna et de Sambala l’emportent, et la partie s’engage. Un démon semble s’emparer de Youdhichthira, et il tente le hasard avec une imprudence qui va jusqu’à la frénésie. Selon l’usage, ses adversaires le stimulent et l’égarent ; il perd successivement ses bracelets, ses anneaux, toutes ses parures, ses richesses, son palais, puis des enjeux plus étranges et réellement inestimables : ses deux demi-frères, Bhîmaséna et