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LE MAHABHARATA. 147

C'est un dieu, il est vrai, le dieu du trépas, Yama, et alors entre elle et lui s'engage un dialogue fantastique, qui rappelle celui d'Apollon et de la Mort dans la tragédie grecque. Tou- chée de la vertu de Savitri, là farouche divinité lui accorde successivement plusieurs dons qu'elle lui arrache. Ainsi les parents de son mari recouvreront la vue; on leur rendra la couronne; son propre père, Açwapati, qui n'a pas de fils, en aura cent ; elle en demande cent pour elle-même, mais cela suppose le salut de son époux. Varna refuse, hésite et finit par se laisser émouvoir, lui que rien au monde ne fléchit ; il s'en retourne sans emporter sa proie. Satyavan revient à lui ; il se figure qu'il se réveille d'un pénible sommeil, d'une es- pèce de léthargie; il s'apprête à reprendre sa route à travers la forêt, malgré la nuit qui tombe, les oiseaux nocturnes qui poussent des cris, les hideux chacals qui hurlent au loin. Car le pieux jeune homme pense à l'anxiété qui doit s'être em- parée de sa famille, et il dit à Savitri :

Ma tète n'est plus pesante, mes membres sont fortifiés ; aidé par toi, je veux revoir mon père et ma mère; jamais je ne suis rentré si tard à l'ermitage. Avant le soir, ma mère me redemande; même lorsque je sors le jour, elle s'alarme et me cherche parmi les ana- chorètes. Que de fois j'ai entendu dire à mes parents affligés : « Tu reviens bien tard ! » Je songe à ce qu'ils vont ressentir aujourd'hui; quelle vive douleur de ne pas me revoir ! Naguère encore, la nuit, éveillés, inquiets, remplis d'une tendre émotion, tous deux s'écriaient : « Fils bien-aimé, sans toi comment vivre un instant? Ton existence seule assure la nôtre. Nous sommes vieux, aveugles ; tu es notre soutien; en toi reposent toute notre race, le mérite de nos offrandes, notre honneur, notre prospérité ! »

Savitri est digne de comprendre ce noble langage: elle soulève avec effort son époux, languissant sur le sol, l'enlace de ses bras, le soutient et le ramène vers la demeure pater- nelle, où ses souhaits devaient merveilleusement s'accomplir. Dyoumatséna et la reine, sa femme, ont recouvré la vue ; on leur rend le trône qu'ils ont perdu ; contre toute attente, cent lils perpétueront leur descendance. Quant à Satyavan, il aura

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