Page:Soupé - Études sur la littérature sanscrite.djvu/187

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LE KAMAYANA. 17'.»

nadatta, disait-elle, ne te suis-je pas plus chère que la vie? Quel est ce silence, quand tu pars, ô mon noble fils, pour un si long voyage? Donne un baiser à ta mère; ne t'en va point avant de l'avoir embrassée; mon ami, serais -tu lâché contre moi? Pourquoi te taire ainsi? » Puis le père, affligé et blessé par l'aiguillon de la souffrance, tient à son fils inanimé, comme s'il était vivant, ce- langage plaintif, tout en touchant ça et là ses membres immobiles: « Mon fils, s'écriait-il, ne reconnais-tu point ton père, venu ici avec ta mère? Lève-foi, à présent; marchons; passe tes bras au- tour de notre cou et conduis-nous. Qui, au lieu de toi, ô mon fils, me ferait, le soir, d'une voix grave, la lecture des Védas? Qui nous rapporterait de l'intérieur du bois des racines et des fruits sauva- ges, à nous, pauvres aveugles, qui les attendons, assiégés par la faim? Oui, cette pénitente, frappée de cécité et courbée sous le faix de la vieillesse, la mère, union cher enfant, comment la nour- rirai-je, moi dont la force est épuisée et qui ne vois pas plus qu'elle? Nous voilà seuls désormais : ne quitte pas .aujourd'hui ces lieux ; il sera temps de t'en aller demain avec nous; car le chagrin ne saurait tarder à nous enlever le souffle de l'existence... Tu seras admis dans la société de ces héros qui ne sont pas réduits à re- commencer le cercle des transmigrations, parce que tu étais inno- cent et que tu as expiré sous les coups d'un homme malfaisant

Tu verras ces mondes, réservés aux chefs de familles qui ne cher- chent pas la volupté hors des bras de leurs épouses, aux chastes prêtresses, aux opulents bienfaiteurs qui distribuent aux brah- manes des vivres, des génisses, de l'or et même des terres. Suivi par ma pensée, tu habiteras, omon Yadjnadatta, les sphères éter- nelles où résident ceux qui assurent le bonheur des peuples, ceux dont la parole semble la voix de la vérité ! »

L'adolescent transfiguré apparut à ses parents et, après les avoir consolés, remonta aux cieux. Néanmoins, le vieil ermite lança l'anathème sur le front incliné du jeune Daçaratha et, tout près de rendre l'âme, il le condamna par avance à gémir lui-même dans son affection paternelle. Et voici que Daçaratha est devenu vieux aussi, et voici qu'il pleure aussi son fils: l'imprécation du solitaire ne porte que trop ses fruits. Il perd soudain la vue, il perd la mémoire ; en pleine nuit, il s'éteint doucement, si bien que Kàusalyâ dort longtemps, à son insu, côte à côte avec un cadavre. A l'aube, les courtisans et les

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