Page:Soupé - Études sur la littérature sanscrite.djvu/244

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

concilie même avec sa marâtre Kékéyi. Mais, dans la poésie indienne comme dans la vie réelle, le mal se mêle toujours au bien et le repos n’y est que le prix de longues épreuves. Le peuple est mécontent ; car Sita est restée longtemps chez les râkchasas : comment pourrait-elle être pure ? En vain elle s’était exposée au jugement du feu; en vain elle est près d’enfanter: Râma, roi avant d’être époux, donne mission à Lakshmana de la transporter au delà du Gange chez le fameux Vâlmiki, prêtre et poète, l’auteur de ce Râmâyana où ces mêmes aventures sont chantées si éloquemment. La mélancolie de Lakshmana obligé d’abandonner sa belle-sœur, l’évanouissement et les larmes de Sita, ses paroles de pardon pour celui qui la frappe et qu’elle chérit, ce mélange de vertu et de tendresse, de résignation et de dignité, composent une peinture achevée. L’antiquité gréco-latine a-t-elle si souvent de ces accents de l’âme, qui font bien plutôt penser au Christianisme ? Un trait que Virgile n’eût pas négligé, mais qui est surtout dans le goût indien, c’est que la nature entière s’associe au deuil de cette reine malheureuse : les paons cessent de voltiger, les arbres secouent leurs fleurs, les gazelles rejettent l’herbe broutée par elles ; toute la forêt gémit. Vâlmiki recueille l’exilée et la console, en lui prédisant le plus glorieux enfantement. Confiée à de pieuses femmes, dormant près des bêtes fauves, revêtue d’une tunique d’écorces, Sîta ne consent à survivre que pour mettre au monde l’héritier de son époux.

Toute cette royale famille semble placée au-dessus de l’Humanité : Sîta est une sainte ; Râma est digne du dieu qu’il représente ; Bharata se montre fidèle et désintéressé ; Lakshmana, dévoué et sensible ; Satroughna à son tour agit en héros. Pendant qu’il soutient contre les démons des luttes terribles, Sîta dans la forêt a enfanté deux jumeaux, Kouci et Lava, que Vâlmiki consacre et bénit. Comme le Romulus et le Rémus de la légende latine, ils grandissent au sein de la solitude ; puis, nouveaux rhapsodes d’un autre Homère, ils s’en