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Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/395

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LE PARNASSE

après avoir pourchassé les Allemands, avec sa compagnie de tirailleurs, le 15 janvier 1871[1]. Le Ier mars, il envoie à ses parents la protestation des représentants de l’Alsace-Lorraine, et leur annonce que, engagé pour la durée de la guerre, il reste dans l’armée : « je ne dois pas seulement être prêt à me faire tuer pour la France, je dois ne plus vivre que pour elle. Mon but est de lui préparer des libérateurs et des soldats… À dater d’aujourd’hui, je me voue à la Revanche, et, pour tout aussi longtemps que nos frères séparés n’auront pas été réunis à nous,… je me donne à l’Armée, corps et âme[2] ». Tandis que Leconte de Lisle exprime l’idée que nous reprendrons l’Alsace et la Lorraine, Déroulède se consacre à la réalisation du projet. Il ne songe plus qu’à la guerre contre l’étranger, et goûte peu la guerre civile ; il se bat contre la Commune parce qu’il le doit, mais il épargne les communards, même celui qui lui a cassé le bras[3]. Leconte de Lisle et Anatole France le trouveraient tiède en matière de répression.

Alors, forcé par une nouvelle blessure de quitter l’armée, il se donne pour mission de secouer « la morne immobilité de la nation », d’entretenir le patriotisme français, sans le pousser jusqu’aux excès du patriotisme allemand, mais en l’empêchant de sombrer à nouveau dans la niaiserie humanitaire[4]. Ainsi, il trouve Bergerat en train de composer un Bella matribus detestata mis au goût du jour : une allemande et une française échangent des lamentations sur la mort de leurs deux enfants tués l’un par l’autre, et les deux voceratrices chantent l’horreur des massacres : « Non ! non ! lui crie Déroulède, pas ça ! ce n’est pas le moment ! Je vous en prie, brûlez ce poème I » La sincérité de son exaltation est manifeste : pour Déroulède il n’y a plus que les Prussiens, et la Revanche[5]. En 1872, paraissent les Chants du Soldat, puis toute la série des autres Chants ; le succès est tel que les jalousies s’éveillent vite. Flaubert, qui partage les idées de Leconte de Lisle, cite « en fait d’ineptie » le triomphe de l’Hetman, en 1877 : « quels vers ! » soupire-t-il[6] ; et pourtant, cela vaut presque, fond et forme, les drames de son ami L. Bouilhet. Deux ans plus tard le succès a encore grandi, et la colère de Flaubert

  1. Feuilles de Route, II, p. 132.
  2. Feuilles de Route, II, p. 338.
  3. Tharaud, La Vie, pp. 15-18.
  4. Feuilles de Route, II, p. 132 ; Barrès, L’Âme française et la Guerre, X, 283.
  5. Bergerat, Annales du 23 février 1919, p. 179.
  6. Correspondance, IV, p. 256.