Page:Souvenirs et Reflexions.pdf/19

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simplement parce qu’elle a été la maîtresse complaisante d’un homme d’état bien cravaté (d’ordinaire). Les journaux célèbrent les grands yeux chargés de langueur (c’est-à-dire outrageusement cerclés de noir artificiel) et l’élégance du cou (enfoncé dans les épaules). C’est comique, vraiment. Tout est de la même justesse, y compris l’admiration du « Matin » pour la façon dont elle défend la mémoire de son mari. Naturellement ! il faut bien qu’elle essaie de faire oublier que les premières accusations (accusations infâmes) contre le pauvre homme émanent d’elle ; « la défense » lui a fait la leçon. Une chose assez naïve et amusante, c’est l’étalage de son amour pour le peuple — étant donné que le jury est composé d’ouvriers ! ! !

Revenons à nos moutons. Voilà tous les hommes hypnotisés par cette cabotine parce qu’elle sait jouer les ingénues en public — et autre chose en particulier. Arrive l’heure de la défense au grand jour. L’actrice, pourtant bien stylée, entasse gaffes sur gaffes, elle ne répond pas un mot vraiment intelligent, ne fait pas un raisonnement logique, serré qui se tienne un peu et tout le monde de la trouver très forte, « supérieure à toutes les accusées » ! ! ! Des phrases incohérentes qui s’enchaînent au hasard, des bonds continuels d’un sujet à un autre, jamais une réponse à la question qu’on lui pose, et voilà journalistes, avocats, gens du monde en pâmoison ! ! Ce verbiage de malade pourrait passer pour une tactique, et ce ne serait pas maladroit, mais il est facile de voir que l’accusée répond au hasard des mots qui se pressent dans sa petite cervelle vide. Lorsque le président — ayant constaté ses perpétuelles variantes — lui demande quel est celui de ses récits qui doit être considéré comme vrai, elle répond : « Je ne sais pas ! ! ». Elle embrouille tout. Naturellement, il est très difficile de conduire un interrogatoire dans ces conditions. Le président est désarçonné tout le temps. Cela ressemble à un jeu de balle avec un enfant qui enverrait l’objet dans tous les sens. Comment garder une position dans ces conditions ? Donc, malgré tout, on continue à vanter son charme, à subir son ascendant, à prôner son intelligence ! ! ! Décidément les hommes peuvent descendre bien bas. Au fond cela est très triste. Je retrouve là l’antique mépris de l’homme pour la femme. Il ne demande pas du tout à celle-ci d’être sa compagne mais de lui servir de jouet. Il ne veut pas se l’associer mais en faire un instrument docile à ses caprices. Celles d’entre nous à qui répugne la bassesse du rôle ne sont guère prisées du mâle en qui sommeille l’immonde animal que l’on sait. On ne nous demande pas de la tendresse, de l’affection, ni même de la passion, mais de la servilité. Et on parle d’amour ! !

Acquittée ! naturellement. Du reste il était difficile de faire autrement. Ce qui confond les gens restés sains d’esprit c’est l’ovation faite à cette cabotine ! Les hommes — j’espère que ce sont les très jeunes — qui sont descendus jusqu’à cette insanité en rougiront plus tard je pense.