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L’homme malheureux, ou se croyant tel, accuse la Divinité, montre le poing à la Providence : « Toi qui es toute puissante, pourquoi permettre que je sois accablé de maux ? » Et il nie que Dieu soit infiniment bon. Ce qu’il demande, c’est la permission de bouleverser impunément l’ordre établi. L’univers est régi par des lois ; l’harmonie, l’ordre, la beauté règnent visiblement en ce monde. Et l’homme se plaint amèrement de ce qui fait sa sécurité. Car les lois ne se retournent contre lui que parce qu’il en fausse l’économie (je voudrais un autre mot). Imaginez un Dieu paterne disant à la créature humaine : « Sois légère, folle, débauchée. Ne suis-je pas tout-puissant ? Dérange, bouleverse mets tout en pièces pour tes brèves satisfactions. Je saurai remettre chaque chose à sa place. J’aurai recours au miracle pour t’être agréable. Mais je maintiendrai l’application de la loi dans la mesure où elle cesse de t’opprimer. Le principe de solidarité dans le bien ne te gêne pas ; il ne t’est pas désagréable de tirer profit des avantages de l’hérédité, par exemple, ou de ceux dus à l’industrie des hommes. Et l’intelligence, la bonté ?… C’est parfois bien gênant. Il me faudra donc supprimer ce qui déplait à chaque individu isolément. Je suis à ton service ; use de moi à ta fantaisie ».

N’est-ce pas là le Dieu de tes caprices, ô homme misérable et inconséquent ?

Oser se trouver malheureux parce que les exigences de la vie se sont opposées et s’opposent très légitimement à l’épanouissement de nos mauvais instincts : paresse, sensualité, orgueil, besoin d’indépendance (pouvant aller jusqu’à la révolte la moins justifiée), c’est un désordre moral qu’on ne saurait trop réprouver.

Il faut absolument chercher à se connaître et ne pas se complaire dans les tares d’une nature déchue ; cela peut aller jusqu’à l’admiration de soi, là où l’on devrait se frapper la poitrine. Combien, au lieu de faire leur mea culpa se contentent de dire : « Je suis ainsi »… Ils ajouteraient volontiers « et je m’en félicite » ! !


Qu’est-ce que la vérité ? comme dirait Pilate sans attendre la réponse de la Vérité elle-même. La vérité est donnée à celui qui la cherche avec persévérance, mais elle ne peut qu’être dosée à la mesure de l’intelligence humaine laquelle n’est qu’une toute petite lueur comparée au soleil. Le sauvage regardant les points d’or brillant dans la nuit les prend pour de petites flammes allumées par des mains invisibles ; eh bien, c’est tout de même la vérité, si rudimentaire soit-elle. Et cette vérité, jamais un animal, parmi les plus intelligents, ne l’a cherchée. Que le scepticisme est donc le signe d’un esprit étroit, mesquin et sans amour ! Eh quoi, nous sommes environnés de mystère, submergés de toutes parts en lui et nous osons dire : tel fait est impossible, parce que