Page:Souvenirs et Reflexions.pdf/69

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ni les choses. Pour les gens, cela va de soi, mais on fera difficilement comprendre à beaucoup d’entre nous, ou plutôt on aura grand peine à leur apprendre la douceur envers les objets inanimés. Entre les mains de ceux-ci tout n’est que heurts, brisements, tapage ; ils ne procèdent que par coups de poing.


Heureux ceux qui pleurent…

Pourvu que ce soient de belles larmes honnêtes, des larmes de repentir et d’amour (il n’est jamais ici question que du grand amour sans épithète) complètement étrangères à tout égoïsme, donc un repentir dépouillé d’orgueil, un amour absolument désintéressé. Nullement réparatrices, les larmes de colère, d’ambition déçue, de jalousie, d’envie, d’orgueil blessé, d’attendrissement sur soi-même. Pleurer ses fautes, pleurer celles d’autrui, voilà les larmes que recueillent les anges pour les offrir à la miséricorde divine. On se trompe souvent sur la nature des larmes versées, prenant ce qui n’est que vil pour l’ardente effusion d’un cœur pur. Souvent même, on pleure pour pleurer, dans un sentiment voluptueux. On pleure parce qu’on a les nerfs tendus, malades ; il n’y a pas de mal à cela pourvu qu’on ne s’abandonne pas trop à cette manifestation purement physique. Les larmes sont douces, amères, poignantes, hypocrites, impulsives… n’ayons pas d’illusion sur leur valeur ou leur mérite. Souvent, dans les larmes versées, on trouverait de l’attendrissement sur soi-même. Ne pas s’y laisser prendre en se trouvant digne d’intérêt.


Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice…

Ils seront rassasiés… pourvu qu’ils commencent à l’exercer eux-mêmes. Il ne s’agit donc pas de l’exiger des autres… Quel est celui qui n’a pas cette faim et cette soif de la justice qui lui est due ? Quel mérite avons-nous si nous ne la pratiquons nous-mêmes envers le prochain ?… Ce n’est pas chose si facile qu’on croit. Il est très naturel d’attirer à soi le plus possible, sans souci du préjudice causé, même sans se douter le moins du monde du rapt commis. La paille et la poutre… quelle matière à méditation ! et à contrition. Nos défauts nous sont légers ; ceux des autres nous paraissent insupportables ; nous trouvons légitime de nous dispenser de bien des devoirs dont nous nous déchargeons sur ceux qui nous entourent. Les vertus dont nous ne donnons pas l’exemple, nous nous scandalisons de ne pas les trouver dans les personnes à notre service, par exemple, comme en beaucoup d’autres. Donc la faim de la justice demande une connaissance approfondie de soi-même, de l’intelligence, de la bonté ; ce n’est pas à la portée de tous, mais il ne nous est demandé qu’en proportion de ce que nous