Page:Souvestre, Laurens de la Barre, Luzel - Contes et légendes de Basse-Bretagne.djvu/26

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imaginé pour la consolation des peuples, et le mythe s’obscurcit insensiblement sans que les abstracteurs d’humanitaire quintessence aient rien pu inventer à la place.

La passion de l’Infini s’est-elle donc éteinte dans les yeux des fils des hommes ? N’y a-t-il donc plus des poètes et des pauvres ? Si ; mais poètes et pauvres pleurent, au lieu d’agir : ils secouent la tête, quand on leur parle des fables qui, durant des milliers d’années, ont aidé leurs pères à vivre. Un vent de décrépitude souffle sur les races latines, et le merveilleux féerique ou légendaire, si robuste dans son étendue et dans sa fraîcheur, s’évanouit devant l’intrusion d’un merveilleux exporté, aux hallucinations fantastiques, troublantes et morbides.

Maniés par un homme de génie, le fanatisme et la crédulité aboutissent à l’enthousiasme, puissant levier des grandes entreprises ; le scepticisme est un dissolvant. Loin de manifester la faiblesse, le conte et la légende marquent dès lors, là où ils subsistent, une permanence de vigueur et de force. Le patrimoine traditionnel de la Basse-Bretagne — ce pays prétendu arriéré parce qu’il est tenace — figure au nombre des plus riches et des mieux conservés. Richesse et conservation tiennent, indépendamment de la langue, à une position régionale exceptionnelle. Isolé à l’extrémité d’un continent, hors de la sphère d’action des foyers civilisateurs, le merveilleux breton est né de la mer et de la lande, d’une double notion d’immensité et de sauvagerie ; la brume, qui en drape les contours, sort de l’Océan dont les flots enserrent l’Armorique, et de l’humidité qu’exhalent ses rivières et ses marécages. En jetant dans la presqu’île les épaves d’une nation insulaire, l’émigration initiale n’a pas peu contribué à développer cette tendance climatérique vers un idéalisme vague et consolateur. Le peuple breton, qui a épandu son candide orgueil dans le gwerz, et son cœur dans le sôn, a demandé au conte une distraction, moralisée plus tard par la légende. Pendant que les seigneurs bataillent et que les moines disputent, le peuple souffrant cherche un refuge dans la fiction qui