Page:Souvestre - Le Monde tel qu’il sera, 1846.djvu/135

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presque en joie ! Ce que j’avais cru une honte, devenait pour moi une source inattendue de richesses ! Je regardai de nouveau, dans le miroir, l’ornement qui chargeait mon front ; il me sembla moins étrange que d’abord. Évidemment, le préjugé avait eu beaucoup de part dans ma première sensation. Les peuplades primitives de l’Amérique n’avaient-elles point regardé, autrefois, les armes de l’élan et du bison comme le plus gracieux ornement d’un guerrier ? Les chevaliers du moyen âge ne surmontaient-ils point leurs casques de croissants d’acier et les cornes lumineuses de Moïse n’étaient-elles point le signe distinctif de la puissance surhumaine ? Chez les sages peuples de la Grèce, comme chez les nations belliqueuses du Nord, la corne avait toujours été le symbole de la force et de l’abondance ; une grossière plaisanterie des siècles barbares avait réussi à la rendre ridicule ; mais le jour de sa réhabilitation était venu.

« Après ces raisonnements, et beaucoup d’autres, non moins concluants, mes idées se trouvèrent tellement modifiées, que, loin de me plaindre d’avoir une corne, je me mis à regretter de n’en avoir qu’une. Deux cornes eussent évidemment offert un aspect plus complet et plus gracieux ; pour deux cornes, on eût pu exiger deux millions !

« Je me contentai provisoirement de celui qui m’était offert.

« Mon exhibition eut un succès prodigieux. On accourait de toutes parts pour voir le roi Extra (c’était ainsi que m’avait baptisé Blaguefort). Les plus hauts personnages de la république me reçurent à leurs soirées ; je devins le divertissement à la mode, on voulut m’entendre, me parler, et le monstre fit remarquer l’homme d’esprit.