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— Ces enfants ne peuvent se souffrir !

— Dites qu’ils ne peuvent souffrir la faim, répliqua Mathias.

Et prenant par la main les deux affamés, il les emmena.

La charge était lourde pour le vieux soldat, mais il ne s’en effraya point. Il se rappelait la maxime de son lieutenant, que pour faire la plus longue route il suffisait de remettre sans cesse un pied devant l’autre, et il l’avait appliquée à toutes les choses de la vie.

Arrivé à Paris avec les enfants, il les nourrit de son travail, jusqu’au moment où ils purent s’atteler avec lui à cette roue qui broyait le pain de chaque journée. Mathias les avait placés tous deux dans la même fabrique. À l’heure où les métiers s’arrêtaient, on ne manquait jamais de le voir arriver, portant à la main le panier couvert qui renfermait leur repas. En l’apercevant, les petits garçons se plaçaient au port d’armes et battaient la charge, tandis que les jeunes filles répétaient en souriant :

— C’est le père Mathias ! bonjour, monsieur Mathias !

Car jeunes filles et jeunes garçons aiment également ces vieux lions qui ne rugissent que contre les forts.

Après avoir répondu à tous par un signe, par un mot, par un sourire, le vieillard allait s’asseoir dans quelque coin abrité avec Georgette et Julien ; puis l’on découvrait le panier. Mais non tout d’un coup ! il fallait d’abord deviner ce que Mathias apportait ! et Dieu sait quels efforts pour ne point rencontrer juste et lui laisser la joie de la surprise. Enfin, quand les enfants déclaraient avoir épuisé la liste de leurs suppositions, le vieux soldat soulevait le couvercle d’osier, tirait lentement le mets inconnu et le présentait aux regards de ses convives !