Page:Souvestre - Le Monde tel qu’il sera, 1846.djvu/207

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

titude d’industriels qui venaient exploiter sa tendresse pour le défunt. Il y avait d’abord le marbrier, présentant des modèles réduits de monuments funèbres à tous prix et de toutes formes ; le fossoyeur, qui sollicitait une gratification en tendant un chapeau sur lequel était écrit : Il est défendu de demander ; le jardinier du cimetière, proposant de planter autour de la tombe des cyprès et des haricots d’Espagne ; le portier, attendant le denier à Dieu que doit tout nouveau locataire ; le buraliste des plaintives, offrant un abonnement de cinquante cachets ; enfin, les marchandes d’immortelles, d’anges en carton-pierre et de lampes funéraires en porcelaine, qui offraient leurs articles au prix de fabrique. Blaguefort lui serra la main, puis, s’éloignant avec ses compagnons :

— Le malheureux sortira ruiné, dit-il ; on vivrait dix ans à Sans-Pair avec la somme qu’il faut payer pour avoir la permission d’y mourir. Encore ne voyez-vous ici que les menus frais. Il y a, en outre, les droits du fisc ! Partout où l’on suspend les draperies noires tachées de larmes, vous le voyez accourir la bouche entr’ouverte et les griffes tendues. Tout héritage est soumis à sa dîme. Comme les vampires de la Bohême, il s’engraisse de morts. Qu’une femme ait perdu le mari qui la faisait vivre ; qu’une veuve pleure le fils sur lequel elle s’appuyait ; qu’un enfant voie succomber le père dont il recevait tout, le fisc accourt, au nom de la société, et leur enlève une part de ce qu’ils ont pour leur permettre de garder le reste. Chaque acte mortuaire est une lettre de change souscrite à son profit. À la vérité, ces droits grossissent l’actif du budget, et permettent d’entretenir trente-deux millions de fonctionnaires publics, occupés huit heures par jour à tailler des plumes et à rayer du papier. C’est une