Page:Souvestre - Le Monde tel qu’il sera, 1846.djvu/212

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— Ces messieurs ont vu le cimetière, dit-il avec la volubilité mécanique des marchands forains habitués à filer ces phrases sans ponctuation qui durent une journée… ces messieurs doivent être contents… c’est le plus bel établissement de Sans-Pair, le seul où puissent se faire inhumer les gens comme il faut… les terrains renchérissent tous les jours, on se les arrache, c’est à qui se fera enterrer ici. Avant peu, tout sera acheté. Ces messieurs ne voudraient-ils pas prendre leurs précautions ? choisir d’avance la place qu’ils désirent occuper un jour ? Je puis leur faciliter ce choix, les faire traiter pour trois mètres, six mètres, neuf mètres. Personne ne pourra leur obtenir d’aussi bonnes conditions que moi. Je suis le protégé de l’administration. Ces messieurs peuvent désigner l’endroit… il y en a de tout plantés… Ces messieurs pourraient avoir un saule… bouture de Napoléon… garantie… le saule est très-bien porté !… Je me charge également des monuments à forfait ; tombes simples, tombes historiées, édifices funèbres avec statues et accessoires. Quant aux embaumements, le privilège de la méthode Putridus m’appartient ; je conserve les corps dans toute leur grâce et dans toute leur fraîcheur ; la personne la plus intime ne peut apercevoir aucune différence entre le sujet préparé et le sujet vivant. Je fournis, en outre, des épitaphes inédites ; j’imprime des articles biographiques ; je fais entrer par faveur les défunts dans le quartier des grands hommes… Ces messieurs ne trouveront personne qui puisse les arranger comme moi. Il y a vingt ans que je place des morts ; je connais ici tout le monde, je suis ici chez moi. Si ces messieurs exigent un rabais, on pourra s’entendre. Le moment ne saurait être meilleur ; l’administration projette des embellissements ; elle a besoin d’argent ; on aura une tombe pour presque rien… Ces messieurs sont