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chez M. Aimé Mignon, peintre de tous les princes, de tous les banquiers et de toutes les jolies femmes de la république.

M. Aimé Mignon était le premier qui eût songé à appliquer au portrait le système de la confection en pacotille. Il avait, pour cela, ramené toutes les physionomies à cinq caractères : le grave, le gai, le sauvage, le voluptueux, l’indifférent, et avait fait peindre, d’avance, une collection de toiles reproduisant ces différents types sans le visage ! Ces toiles étaient exposées dans son atelier avec le prix, calculé en pouces carrés, de sorte que chacun pouvait choisir sa tournure toute faite comme on choisit un habit. Il n’y avait plus que la tête à ajouter ; mais pour celle-ci, M. Aimé Mignon réussissait toujours au gré de l’acheteur. Lui-même développa, sur ce point, son procédé à Maurice.

— La mission du portraitiste, dit-il, n’est point, comme on l’a cru longtemps, de reproduire ce qu’il voit, mais ce qui devrait être. La nature est généralement laide ; notre rôle est de l’embellir ; je dirais même que c’est notre devoir. Car que veulent la plupart des gens qui se font peindre ? acquérir la preuve qu’ils sont plus beaux qu’ils ne le paraissent. Si un portrait ne réussit qu’à reproduire notre laideur, à quoi bon en faire la dépense ? n’est-ce point assez d’avoir la laideur elle-même ? Pensez-vous qu’un bègue payât bien cher pour entendre contrefaire son bégayement ? Le portraitiste a toujours, du reste, un moyen sûr de savoir s’il a réussi : celui qu’il peint se déclare-t-il ressemblant, il faut qu’il efface vite ; se prétend-il flatté, tout est bien ; l’œuvre sera payée sans réclamation et prônée aux amis.

De chez M. Mignon, Marthe et Maurice se rendirent chez le signor Illustrandini, statuaire ordinaire des cinq parties du monde, auxquelles il fournissait indifféremment des