Page:Souvestre - Le Monde tel qu’il sera, 1846.djvu/276

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avez, pour cela, franchi tant de siècles ! Que nous importe l’avenir à nous qui n’avons que le présent ? que nous sont les hommes qui viendront après nous ? avons-nous donc d’autre intérêt que ce que nous pouvons voir et sentir ? L’avenir, c’est l’inconnu, et l’inconnu, c’est le vide.

— Non pas pour ceux qui espèrent, dit Maurice. L’inconnu, c’est le champ où sont semés nos rêves, où nous les voyons germer, croître et fleurir. Et qui voudrait vivre sans ce bénéfice de l’incertitude accordée à notre misère ? que serait la vie sans les horizons fuyants et sans les nuées qui embrument son lointain ? Privée de l’inconnu, l’âme serait prisonnière comme le regard qu’arrêtent les murs d’un cachot ; ses ailes oublieraient à voler. Ah ! n’éprouvez-vous donc point cette impatience qui fait regarder par-dessus chaque jour ce qui doit venir ensuite ? n’avez-vous point la soif de connaître, l’aspiration vers l’infini, cette horreur du doute qui crie sans cesse : — En avant ! aimez-vous autant aujourd’hui que demain ? À quoi pensez-vous donc, enfin, quand vous êtes seule et que vous regardez le ciel ?

— À quoi elle pense ? interrompit Banqman, en éclatant de rire ; pardieu ! elle pense au temps qu’il fera.

— Moi, je me rappelle les séances auxquelles je dois me trouver, ajouta Ledoux.

— Moi, les visites à faire, reprit milord Cant.

— Moi, mes échéances, continua Blaguefort.

— Moi, je ne pense à rien, acheva Prétorien.

Maurice les regarda tous avec étonnement.

— Quoi ! pas un rêve ? répéta-t-il ; aucun souci de l’invisible ? Et pourquoi donc vivez-vous alors ?

— Eh ! mais… pour vivre ! répliqua Banqman avec un gros rire.