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« Art. 5. Tous les hommes se marieront et toutes les femmes resteront filles, c’est-à-dire que les premiers seront enchaînés et n’auront que des devoirs, tandis que les secondes seront libres et n’auront que des droits.

« Art. 6. Les femmes auront seules les clefs des caisses publiques et privées ; on laisse aux hommes le privilège de les remplir ! »

Des acclamations frénétiques accueillirent cet hexalogue qui rétablissait d’une manière si équitable l’égalité humaine. Les cris de vive notre libératrice ! vive mademoiselle Spartacus ! se croisaient avec mille exclamations d’enthousiasme ; chaque auditrice annonçait déjà tout haut ses prétentions. L’une voulait être préfette ou générale de division, l’autre procureuse générale près la cour royale, une troisième inspectrice des remontes, une quatrième grande maîtresse de l’université. C’était une sorte de carnaval de l’esprit, dans lequel toutes les ambitions se croisaient et se heurtaient en courant comme des masques. Mlle  Spartacus, enivrée de ce triomphe, avait relevé ses lunettes sur son front et caressait de l’œil les vingt manuscrits qui gonflaient son sac de velours. Là était le véritable nœud de l’affaire ; elle avait d’abord voulu s’assurer la bienveillance de son auditoire ; mais la grande question était de faire agréer le sac avec son contenu.

Elle reprit donc aussitôt que l’enthousiasme de la foule put permettre à sa voix de se faire entendre :

« Je prévoyais ces transports de joie, et j’y vois le nouveau gage d’un triomphe assuré ! Oui, chères complices, vous vous réunirez pour vaincre la barbarie de ce sexe qui repousse ses adversaires sans respect pour leur faiblesse, et n’a pas même la vulgaire générosité de se laisser battre sans se défendre. Mais pour arriver à ce résultat, il faut que toutes les femmes secondent notre complot, qu’elles en comprennent l’importance, qu’elles soient éclairées sur les moyens comme sur le but, et, pour cela, des instructions sont indispensables.

« Or ces instructions existent, j’y ai consacré, depuis dix ans, mes facultés et mes veilles. Romans, poésies, traités philosophiques, impressions de voyages, vaudevilles, j’ai successivement adopté toutes les formes, pris