Page:Souza - Où nous en sommes, 1906.djvu/59

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Et puis l’on ne se méfie pas assez que le public condamne le poète aux aveux de l’artisan, que la poésie s’éclaire d’une publicité technique impuissante à servir les autres arts. Musique, peinture, sculpture, architecture doivent se passer de tout étalage professionnel, parce que chacun de ces arts emploie une langue dont le public ignore les éléments. Dans la poésie, il s’imagine au contraire les avoir appris, dès l’école communale, avec l’orthographe ; il se fait juge peut-être moins de nos œuvres que de nos moyens. Son illusion est légitime : la poésie rentre dans ses premiers exercices de lecture et de mémoire. Sa juridiction appelle donc notre défense contre un enseignement de l’école qui n’a pu rien lui apprendre, et duquel cependant il croit tenir tous nos droits avec sa langue qui est celle de tous.

Cette défense par les poètes de leurs moyens, défense non pas lyrique mais minutieuse, est sans doute un des signes les plus évidents de leur vitalité créatrice, puisqu’elle se produisit à toutes les époques de renouveau. Et l’on remarquera que leur lassitude des discussions publiques sur les points vitaux de leur métier, leur acquiescement au « n’importe quoi » ou au « tout ce qu’on veut », coïncide avec les reprises truquées de la routine, avec une diminution de la conscience.

Aucuns de nos petits sauvages, comme on l’a vu, ne s’accordent sur le fameux vers libre. Pour les uns, il reste la seule trouvaille du symbolisme ; pour les autres, il en accentue l’abomination. Avec M. Mauclair, les nouveaux venus en assureront le triomphe ; avec M. Ernest-Charles, les symbolistes mêmes y ont renoncé. A la vérité, les uns et les autres parlent du « vers libre » comme des sourds.