Page:Souza - Où nous en sommes, 1906.djvu/85

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

scrute de nos jours, sans trop de bonheur, avec le plus d’acuité. Qui donc eussent dû être les plus émus du mystère de tant d’incompréhensibles transmissions mentales et de tant de « correspondances » d’âmes, plus subtiles que celles des « parfums, des couleurs et des sons », si ce n’est les poètes ? Qui, sinon les poètes, doivent transposer dans leur art l’immense inconnu qui se mêle à toutes nos communications du sentiment ?Par cette conscience qu’ils prirent de l’indéterminé où se baignent tant de nos actes, il se fait que justement les symbolistes sont les seuls artistes en accord avec la conscience scientifique de notre époque qui ne précise plus ses limites. Loin de trop accorder au mystère, ils ne « plongèrent » pas assez loin.

Au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau,

comme disait le dernier vers des Fleurs du Mal, — ce vers dangereux qui, dans le sens baudelairien, eût pu être la roche de vertige d’où l’on tombe, mais qui fut en réalité la dalle du Thabor d’où l’on s’éleva, d’où l’on « plongea » en haut. En dépit d’un Camille Mauclair, du Monsieur-honteux-den’avoir-rien-à-dire (je comprends ça) ou du Monsieur-pourqui-il-n’y-a-aucun-mystère-mais-des-évidences-calmes (Zola lui-même n’aurait jamais risqué pareille sottise), on entendit l’admirable, la prodigieuse parole de Carlyle : « Le poète est le révélateur de l’infini » ; et l’on entendit la non moins admirable, la prodigieuse parole de Shelley : « La poésie sauve de la mort les visites de la divinité dans l’homme. »

Cette conscience féconde du mystère, si elle peut s’accorder à la plus stricte croyance religieuse, ne se lie pas nécessairement au vulgaire mysticisme. Elle n’écarte point la nature,