Page:Spencer - La Science sociale.djvu/51

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En effet, dans les sciences concrètes, il n’y a jamais répétition absolue des mêmes faits ; et dans quelques-unes cette répétition n’est pas plus caractérisée que dans la science sociale. Même dans la plus exacte de toutes, l’astronomie, les combinaisons ne sont jamais deux fois les mêmes ; les répétitions ne sont qu’approximatives. Si nous passons à la géologie, nous voyons, il est vrai, les dénudations, les alluvions, les soulèvements, les affaissements, s’opérer conformément à des lois dont la généralité est plus ou moins manifeste, mais les effets de ces lois sont toujours des effets nouveaux par leurs proportions et leurs combinaisons, bien qu’ils ne le soient pas assez pour nous interdire d’établir des comparaisons, de tirer des déductions et de fonder là-dessus des prévisions approximatives.

Si nous n’avions pu opposer aux arguments de M. Froude la réfutation qui précède, il nous en eût lui-même fourni une autre par ses interprétations historiques, qui montrent clairement que sa négation ne doit pas être entendue dans un sens absolu. En pratique, il n’est pas fidèle à la théorie qu’il professe, car il admet implicitement, à ce qu’il nous semble, qu’on peut expliquer certains phénomènes sociaux, sinon tous, par les relations de cause à effet. Ainsi, au sujet de la loi de 1547 sur le vagabondage, aux termes de laquelle les vagabonds déclarés étaient réduits en esclavage, M. Froude s’exprime ainsi : — « Dans l’état de choses qui commençait alors… ni cette pénalité ni aucune autre ne pouvait avoir d’effet pratique contre la paresse[1]. » N’est-ce pas dire que l’action d’un agent mis en jeu était neutralisée par l’action de forces naturelles coexistantes. M. Froude écrit ailleurs, à propos des communaux qu’on clôturait, des petites fermes qu’on fondait ensemble, etc. : — « Sous le règne précédent, on avait réussi, avec bien de la peine, à ralentir ces tendances ; mais, après la mort d’Henri elles acquirent une force et une activité nouvelles[2]. » En d’autres termes, certaines forces sociales, d’abord contre-balancées par d’autres forces, ont produit leurs effets naturels quand l’antagonisme est venu à cesser. M. Froude explique aussi

  1. History of England, vol. V, p. 70.
  2. Ibid., vol. V, p. 108.