Page:Spencer - La Science sociale.djvu/85

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les sociétés avancées les hommes se partagent les différentes occupations ; mais avant d’arriver à la conclusion que cette forme de l’organisation sociale, loin d’être le résultat d’une création spéciale ou d’un décret royal, s’était établie d’elle-même sans avoir été préméditée par personne, il fallut noter, enregistrer et expliquer un nombre infini de transactions de toutes sortes, comparer ces transactions entre elles et aux transactions observées dans des sociétés plus anciennes ou moins compliquées. Or il est encore beaucoup plus facile de rassembler des données sur l’origine de la division du travail, que sur l’origine de tout autre phénomène social ; on peut juger par là combien la matière même de la sociologie est un obstacle aux progrès de cette science.

À cette première difficulté vient s’en ajouter une autre, peut-être non moins grande, tirée du caractère de l’observateur. Les hommes qui étudient les problèmes sociaux portent nécessairement dans cette recherche les méthodes d’observation et de raisonnement qu’ils sont accoutumés à pratiquer dans d’autres recherches — ceux d’entre eux du moins qui font des recherches dignes de ce nom. Laissons ici de côté la grande majorité des gens cultivés pour ne nous occuper que de ceux, bien peu nombreux, qui rassemblent consciencieusement des matériaux et arrivent par une comparaison attentive des faits à des conclusions raisonnées ; nous verrons qu’eux aussi auront à lutter contre la difficulté provenant de ce que les habitudes d’esprit qu’ils ont contractées dans un long commerce avec des phénomènes relativement simples, les ont mal préparés à aborder les phénomènes complexes de l’ordre social. Une faculté quelconque tend toujours à s’adapter à la besogne qu’on exige d’elle. Plus elle s’adapte à cette besogne spéciale, plus elle devient impropre à un autre travail. Par conséquent, une intelligence habituée à s’occuper de phénomènes plus simples, ne s’appliquera avec succès à l’étude de ces phénomènes très-compliqués, que si elle commence par désapprendre ses anciennes méthodes. La faculté émotionnelle de l’homme est une autre source d’embarras sérieux. Personne, ou presque personne, ne contemple l’organisation et les actes d’une société avec le calme où nous laissent les phénomènes d’un