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NOVALIS

plus digne l’aiguillon de la passion, et non pas le briser ; tel est le principe de cette éducation mystique du sentiment. « Ennoblir la passion », lisons-nous dans un fragment de Novalis, « en l’utilisant comme un moyen, en la conservant volontairement pour en faire le véhicule d’une belle Idée, par exemple d’une alliance étroite avec un Moi aimé »[1] voilà le moyen.

Tout n’est pas à rejeter dans une pareille conception morale. si toutefois on admet qu’en cultivant sa sensibilité l’homme puisse et doive apprendre à désirer plus noblement. Mais ici apparaît bientôt un nouveau péril, — le goût exclusif des plaisirs d’imagination et des voluptés mystiques. Woldemar et Henriette ne sont au fond que des égoïstes raffinés, des jouisseurs intellectuels et pervertis. Ce qu’ils dédaignent dans les plaisirs « terrestres » c’est la grossièreté de l’organe et son insuffisance, non la jouissance elle-même qu’ils voudraient au contraire plus raffinée, plus subtile et plus prolongée. Bien au-dessus des plaisirs physiques, ils prisent les voluptés délicates que leur procurent leur imagination passionnée et l’analyse complaisante d’eux-mêmes. Pareillement Schleiermacher se consolait de son isolement sentimental en recourant à ce qu’il appelait « la puissance divine de l’imagination ». Elle lui donnait ce que semblait lui refuser le monde réel : la bien-aimée selon son cœur. » Aussi certainement que nous nous appartenons, l’imagination nous porte dans notre beau paradis… Ainsi je La connais, même inconnue, et dans la belle vie qui serait la nôtre je suis déjà un hôte familier ». Non sans une pointe de mélancolie il ajoutait cependant : « Il ne nous manque que la manifestation extérieure ».[2] Quant à Frédéric Schlegel, il voyait dans un pareil attachement exclusif et passionné au « monde intérieur » l’indice d’une secrète maladie ou perversion morale, tout au moins d’une

  1. N. S. II, 1, p. 759.
  2. Schleiermacher, Monologen, Édit. Reclam. pp. 60 et 61.