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NOVALIS

plus forte. »[1] Dans chaque séparation douloureuse, remarque Gœthe, il y a comme un germe de démence. On se rappelle le trouble profond qui, en des circonstances semblables, avait altéré le caractère du baron de Hardenberg, le père du poète. Or Novalis se trouvait à cette période particulièrement difficile de son développement moral où les grands problèmes de la vie, de l’amour et de la pensée, se posent à la fois et communiquent à l’esprit une activité fiévreuse, sans y rencontrer la résistance pour ainsi dire organique et préservatrice des habitudes prises, et des expériences faites. Particulièrement pour les natures passionnées et exaltées il peut arriver que certaines dispositions maladives et héréditaires, en germe jusqu’alors, mais qui ne se manifestaient que par des crises superficielles ou passagères, sous le coup d’une émotion forte et persistante, d’un grand « choc » moral, reçoivent subitement une organisation durable.

Incontestablement Novalis traversa une de ces maladies morales, qui offrait beaucoup d’analogie avec la mélancolie hystérique. Il y était du reste organiquement prédisposé. Parmi les antécédents généralement reconnus de cette affection on retrouve chez lui la dégénérescence physique, une prédisposition native à la tuberculose, jointe à une extraordinaire précocité, une faiblesse irritable du système nerveux se manifestant par une grande excitabilité et instabilité morales. L’instinct sexuel, observe le médecin aliéniste Krafft-Ebing, est chez ces individus très précoce. Il se développe à un degré extraordinaire et étend son empire sur toutes les activités intellectuelles et sensitives.[2] Il prend un caractère particulièrement romanesque, idéal, souvent anormal et entièrement disproportionné à son objet réel, aboutissant à une sorte d’idolâtrie mystique ou de mégalomanie sentimentale, c’est-à-dire à une exaltation imaginative de la personnalité, provoquée et entretenue par la connais-

  1. Novalis Schriften, Édit. Tieck. — III, p. 21, 22, 23-24. — Just insiste à différentes reprises sur ce point, et cette insistance est significative.
  2. Krafft-Ebing, Lehrbuch der Psychiatrie, Stuttgart, 1874, I, p. 70-71.