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boire leur lait, Pierre ouvrit la sacoche et y jeta un rapide coup d’œil ; en apercevant le magnifique morceau de viande, tout son être frémit de joie, et il lui fallut s’assurer par un second regard qu’il ne se trompait pas. Puis il plongea la main tout au fond pour en sortir le précieux morceau et s’en délecter ; mais soudain il retira sa main comme s’il n’osait pas le saisir : il lui revenait à la pensée qu’il avait fait le poing au Monsieur derrière son dos, — et voilà que maintenant le même Monsieur lui cédait un dîner sans pareil ! Pierre eut des remords de son action ; c’était comme si ce souvenir l’empêchait de tirer du sac ce beau présent et d’en jouir à son aise. Tout d’un coup il se leva et courut à la place même d’où il avait envoyé ses menaces au docteur ; là, il étendit les mains bien ouvertes en avant pour annuler l’effet des poings, et resta ainsi un bon moment jusqu’à ce qu’il eût le sentiment d’avoir dûment rétabli l’équilibre ; puis, en quelques sauts il revint à la sacoche, et se sentant de nouveau la conscience à l’aise, il put se livrer de tout son cœur à la jouissance d’entamer à belles dents le friand morceau qui composait ce dîner exceptionnel.