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QUATRIÈME PARTIE.

de Littleton le prêtait à l’objet de son culte. Et cependant, combien encore je pourrais ajouter à ce tableau, qui semble renfermer tout ce qu’il y a de plus aimable !

Peindrai-je le caractère vrai, confiant et pur, cette âme si facilement attendrie par le malheur des faibles, et si fière contre la prospérité des orgueilleux ? Comment surtout, comment exprimer le charme indéfinissable que vous répandez autour de vous ? ce soin continuel de plaire, cette flexibilité dans tous les détails de la vie, qui vous fait céder, sans y songer, à chacun des arrangements qui conviennent le mieux à vos amis ? Le bonheur se respire autour de vous, comme s’il était dans l’air qui vous environne, comme si votre voix, vos goûts, vos talents, votre parure elle-même, tout ce qui est vous enfin, répandait des sensations agréables. L’on est si bien auprès de vous, si naturellement bien, que je croyais souvent qu’il m’était arrivé quelque événement heureux dont j’éprouvais une satisfaction intérieure, et ce n’était qu’en vous quittant que je m’apercevais que vos paroles aimables, vos regards si doux, votre grâce inépuisable, charmaient ma vie, quelquefois à mon insu, comme la Providence se cache pour nous laisser penser que notre bonheur vient de nous.

Être angélique ! femme enchanteresse ! c’est vous qui vous êtes vue l’objet de la malveillance publique ! et je pourrais continuer à y attacher quelque prix ! Non, si je vous ai fait souffrir en pensant ainsi, considérez la scène du concert comme une circonstance heureuse ; elle a, je m’en crois sûr, elle a beaucoup changé mon caractère. Je ne vous dirai point cependant ce qui me revient de mille côtés différents ; je ne vous dirai point que tous les hommes, toutes les femmes distinguées, s’indignent de ce qui s’est passé chez madame de Saint-Albe ; qu’on en accuse son arrogance et sa sottise ; que chacun affirme déjà que c’est par embarras qu’on ne vous a pas parié ; que si vous étiez restée, tout aurait changé : je n’écoute plus ces vaines excuses ; le monde reviendra sans doute à vos pieds, je n’en doute pas, mais je ne l’en mépriserai pas moins.

Ma Delphine, vivons l’un pour l’autre, oublions le reste de l’univers ! mais ne me refuse pas de te voir, ne m’en crois pas indigne ; je me sens ferme à présent contre l’injustice de l’opinion, contre ce malheur que mon âme n’avait pas la force de soutenir. Mon amie, ce jour qui a été peut-être le plus malheureux de notre vie, renouvellera notre destinée ; les méchants qui ont voulu nous perdre, en révoltant mon caractère, l’ont