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QUATRIÈME PARTIE.

lettre, où vous m’apprenez les cruelles dispositions de M. de Valorbe ; l’effroi qu’elle me causa me donna de la force pendant, quelques instants. Cette persécution, cette fureur dont Léonce pouvait devenir l’objet, me fit sentir la nécessité de disparaître d’un monde où j’attirais sans cesse de nouveaux périls sur l’objet de ma tendresse. Je sentis aussi que, si je différais à partir, ou si j’allais vers vous, M. de Valorbe, apprenant dans quel lieu il pourrait me trouver, ne tarderait pas à venir me chercher ; et que Léonce, indigné de le savoir près de moi, se hâterait d’arriver pour l’en punir. Je n’hésitai donc plus, et je donnai, pendant quelques heures, des ordres pour mon départ, avec assez de calme ; mais, dans ce moment, Isaure, qui avait découvert les préparatifs que j’avais commandés, vint, tout en chantant, se jeter dans mes bras, pour se réjouir de faire un voyage : sa gaieté me causa une émotion que je ne pus surmonter ; et, l’éloignant de moi, je passai plusieurs heures à verser des larmes.

Hélas ! j’en répandais alors, pendant que je n’étais pas encore tout à fait loin de lui, pendant qu’il n’était pas encore absolument impossible qu’il entrât dans ma chambre et me serrât dans ses bras.

Le temps se passait ainsi, lorsque peu de temps après dix heures M. Barton arriva ; il était extrêmement troublé : je me hâtai de lui demander d’où lui venait cette altération ; s’il ne savait rien de Léonce, s’il craignait qu’il n’eût découvert mon départ. « Il l’ignore, me dit-il ; mais je n’en suis pas moins dans une inquiétude mortelle : Léonce, sans en avoir averti personne, est revenu, il y a une heure, de la campagne, en y laissant madame de Mondoville. Il y a ce soir un grand bal masqué, où il veut aller : j’ai insisté pour connaître la cause de cet empressement, qui lui est si peu naturel ; il n’a voulu d’abord me rien répondre ; mais, comme il partait, quelques mots qu’il a dits à un de ses gens ont éveillé mes soupçons, et je l’ai forcé à m’avouer que, dans cette fête où les femmes vont déguisées, mais les hommes à visage découvert, il croyait très-facile de faire naître un sujet de querelle à l’instant même ; et que, certain d’y rencontrer M. de Montalte, le cousin de M. de Valorbe, il avait choisi ce jour pour venger, sans vous compromettre, des propos insultants que, depuis le concert de madame de Saint-Albe, il n’a point cessé, me dit Léonce, de répéter contre vous.

— Il est parti pour ce bal, m’écriai-je, dans cet affreux dessein ! Que ferons-nous ? Comment ne l’avais-je pas deviné ? Sa