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PREMIÈRE PARTIE.

lui ; vous pouvez lui écrire une lettre que je ne verrai pas ; mais si après-demain, à dix heures du soir, il est encore à Paris, j’irai le trouver, et nous nous expliquerons ensemble ; aussi bien je penche beaucoup vers ce dernier moyen, et il ne peut être évité que s’il me donne une satisfaction éclatante en s’éloignant au premier signe de ma volonté. »

Thérèse avait tout promis ; mais ce qui l’occupait peut-être le plus, c’était la parole que je lui avais donnée, il y a quinze jours, d’assurer ses derniers adieux ; son imagination était moins frappée de la crainte d’un duel avec son amant et son mari que de l’idée qu’elle ne reverrait plus M. de Serbellane ; elle s’est jetée à mes pieds pour me conjurer de détourner d’elle une telle douleur. Ces mots terribles que d’Ervins a prononcés au bal, ces mots : Vous ne le verrez plus, retentissent toujours dans son cœur ; en les répétant elle est dans un tel état, qu’il semble qu’avec ces seules paroles on pourrait lui donner la mort ; elle dit que si ce sort jeté sur elle ne s’accomplit pas, si elle revoit encore une fois M. de Serbellane, elle sera sûre que leur séparation ne doit pas être éternelle, elle aura la force de supporter son départ ; mais que si ce dernier adieu n’est pas accordé, elle ne peut répondre d’y survivre. J’ai voulu détourner son attention, mais elle me répétait toujours : « Le verrai-je, lui dirai-je encore adieu ? » Et mon silence la plongeait dans un tel désespoir, que j’ai fini par lui promettre que je consentirais à tout ce que voudrait M. de Serbellane : « Eh bien ! dit-elle alors, je suis tranquille, car je lui ai écrit des prières irrésistibles. »

Vous trouverez peut-être, ma chère Louise, vous qui êtes un ange de bonté, que je ne devais pas hésiter à satisfaire Thérèse, surtout après l’engagement que j’avais pris antérieurement avec elle. Faut-il vous avouer le sentiment qui me faisait craindre de consentir à ce qu’elle désirait ? Si Léonce apprend par quelque hasard que j’ai réuni chez moi une femme mariée avec son amant, malgré la défense expresse de son époux, m’approuvera-t-il ? Léonce, Léonce ! est-il donc devenu ma conscience, et ne suis-je donc plus capable de juger par moi-même ce que la générosité et la pitié peuvent, exiger de moi ?

En sortant de chez Thérèse, j’allai chez madame de Vernon ; Léonce en était parti : il m’avait cherchée chez moi, et s’était plaint, à ce que m’a dit Mathilde, fort naturellement, du temps que je passais chez M. d’Ervins. M. de Fierville me fit alors quelques plaisanteries sur l’emploi de mes heures. Ces plai-