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DELPHINE.

M. d’Ervins, il lui dit : « C’en est assez, monsieur, c’en est assez ; vous n’aurez plus affaire qu’à moi, et je vous satisferai. » Thérèse revint à elle dans ce moment. Quelle scène pour elle, grand Dieu ! une épée nue, la fureur qui se peignait dans les regards de son amant et de son mari, lui apprirent bientôt de quel événement elle était menacée ; elle se jeta aux pieds de M. d’Ervins pour l’implorer.

Alors, soit que, prêt à se battre, il éprouvât un ressentiment plus âpre encore contre celle qui en était la cause, soit qu’il lut dans son caractère de se plaire dans les menaces, il lui déclara qu’elle devait s’attendre aux plus cruels traitements, qu’il lui retirerait sa fille, qu’il l’enfermerait dans une terre pour le reste de ses jours, et que l’univers entiers connaîtrait sa honte, puisqu’il allait s’en laver lui-même dans le sang de son amant. À ces atroces discours, M. de Serbellane fut saisi d’une colère telle, que je frémis encore en me la rappelant : ses lèvres étaient pâles et tremblantes, son visage n’avait plus qu’une expression convulsive ; il me dit à voix basse, en s’approchant de moi : «Voyez-vous cet homme ? il est mort, il vient de se condamner ; je perdrai Thérèse pour toujours, mais je la laisserai libre, et je lui conserverai sa fille. » À ces mots, avec une action plus prompte que le regard, il prit M. d’Ervins par le bras et sortit.

Thérèse et moi nous les suivîmes tous les deux ; ils étaient déjà dans la rue. Thérèse, en se précipitant sur l’escalier, tomba de quelques marches ; je la relevai, j’aidai à la reporter sur mon lit, et je chargeai Antoine, le valet de chambre intelligent que vous m’avez donné, de rejoindre M. d’Ervins et M. de Serbellane, et de nous rapporter à l’instant ce qui se serait passé.

Je tins serrée dans mes bras, pendant cette cruelle incertitude, la malheureuse Thérèse, qui n’avait qu’une idée, qui ne craignait au monde que le danger de M. de Serbellane.

Antoine revint enfin, et nous apprit que, dans le fatal combat. M. d’Ervins avait été tué sur la place. Thérèse, en l’apprenant, se jeta à genoux, et s’écria : « Mon Dieu ! ne condamnez pas aux peines éternelles la criminelle Thérèse ! accordez-lui les bienfaits de la pénitence ; sa vie ne sera plus qu’une expiation sévère, ses derniers jours seront consacrés à mériter votre miséricorde ! ». En effet, depuis ce moment, toutes ses idées semblent changées ; le repentir et la dévotion se sont emparés de son esprit troublé : elle ne s’est pas permis de me prononcer une seule fois le nom de son amant.

Antoine, après nous avoir dit l’affreuse issue du combat,